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matières géographiques et historiques, pierre de touche d’une réaliste et solide instruction. De même, la connaissance de notre langue nationale laisse fortement à désirer. Pour l’acquisition des connaissances demandées par les programmes, il convient de s’adresser à un homme que sa profession met au courant des dits programmes et de leurs exigences. »

Tout en méditant les termes de cette lettre, M. Bohler frappait nerveusement la table d’un doigt.

— Il y a quelque machination, là derrière, un Kummel quelconque, un mouchard de cet acabit… On veut évidemment la tête de Mlle  Wahler. Cette brave vieille fille apprend l’allemand à mes fils, mais surtout le français à des dizaines de potaches mulhousiens. Depuis trente ans, pour maintenir l’influence en Alsace, elle a plus fait que tous les discours. On en a assez. On veut l’affamer… Pour vous, monsieur Reymond, les choses pourront s’arranger. On n’insistera pas. La fabrique donne des subsides pour les écoles maternelles, les cours des apprentis, d’autres œuvres encore. Quand on a des armes en main, on est respecté… Mais où trouver un professeur d’allemand ?

— Je n’en vois qu’un, répondit Mme  Bohler. Nous serions au moins tranquilles.

— Et qui ?

— Kummel lui-même. Quatre heures de leçons par semaine, ça arrondirait son traitement. Il se croirait appelé à germaniser nos fils. Dans cet espoir, il oublierait de nous dénoncer. Il nous servirait de paratonnerre.

— Non ! À aucun prix je n’introduirai ce laquais chez moi. J’enverrai encore moins mes fils chez lui.

— Et dans ma chambre, monsieur ? proposa Reymond. Il me serait facile d’assister aux leçons à titre d’auditeur.

— Ça, c’est une idée, c’est même une bonne idée. Quand on ne tient pas le couteau par le manche, il est inutile d’entrer en guerre ouverte. C’est entendu. Voulez-vous demander la chose de ma part au pédagogue ?… Je préfère demeurer en dehors de ces pourparlers…

— Heureusement pour nous, fit Mme  Bohler, qu’ils ne sont guère habiles, ces excellens germanisateurs. S’ils l’étaient, nous serions perdus. Vous imaginez-vous un inspecteur se mettant à causer avec les enfans, oubliant une minute qu’il est Allemand pour se révéler homme, tout simplement, leur racontant des