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les événemens. Les « intellectuels » seuls profèrent des injures. Les autres ne se départent pas de leur philosophie parfois sereine et parfois narquoise, où passe la résignation du pauvre diable, et leur irrésistible belle humeur française.

— On sait bien, n’est-ce pas, que, quand on est prisonnier, on ne peut pas être assis à la table d’honneur...

— Et puis, vous savez, tout ça ne nous a pas empêchés de leur jouer de bons tours tout de même...

Et le soldat français se consolait de ses misères, oubliait sa faim et ses ennuis en se régalant à la pensée du « bon tour » qu’il avait joué au gardien allemand.

Ils ont une manière d’expliquer les choses, mi-gouailleuse et mi-raisonnable :

— Le commandant de notre camp, du jour où il a su que son fils était prisonnier en France, il a tout à fait changé avec nous, on ne le reconnaissait plus...

Ils sont unanimes à dire qu’a on est moins malheureux dans les camps qu’au commencement. » L’organisation est meilleure. Et meilleure l’hygiène. On a installé partout des bains et des douches. Et le pullulement de la vermine qui les a fait tant souffrir, la première année, semble définitivement enrayé. Ces améliorations furent souvent dues à la présence et aux réclamations de visiteurs neutres, notamment des Américains et des Suisses. Que ne peut-on multiplier ces visites ?...

En dépit des améliorations, plus les mois s’écoulent et plus la captivité devient lourde, plus intolérable devient l’éloignement des êtres chers. Je me rappelle la plainte nostalgique d’un de ces soldats :

— Là-bas nous n’entendions aucun grillon, aucun oiseau, rien... nous étions délaissés par tous, même par les oiseaux...

Plainte si mesurée ! plus éloquente que toutes les récriminations...

Ce qu’ils racontent encore, ce sont de beaux traits de courage.

En avril 1915, un camp fut menacé du typhus exanthématique ; un Belge, qui autrefois résidait à Paris où il s’occupait de désinfection, interné dans ce camp, réussit à conjurer l’épidémie. Aidé d’un adjudant et d’un étudiant en médecine belge, il désinfectait les baraquemens au fur et à mesure, avec des moyens de fortune.

— Pendant un mois nous avons été inspecter les Russes