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bouleaux, leurs hêtres, leurs buissons de genêts, si bien que la neige s’amuse à faire du sapin un blanc fer de lance, du cytise un dôme, du bouleau une ogive, du buisson de genêt un hérisson poudré à frimas. Il y a aussi les couleurs de ces troncs alignés en profondeur, l’écorce ensoleillée des pins, verdâtre des cytises, blanchâtre des bouleaux, le feuillage roussi des hêtres ; et tout autour, ce blanc bleuté de la neige sur quoi glisse le chant des cloches, car il y en a toujours une qui sonne au fond des jours alsaciens.

Leurs bonnets rouges tirés sur les oreilles, attelés au traîneau à deux places, les petits gars ont gravi la pente. Ces bonnets rouges, comme ils filent sur la piste tassée ! L’air sec emporte au loin les cris.

Certain après-midi de dimanche, tout le monde s’en mêla : Fritz, l’apprenti du cordonnier, qui guidait à plat ventre ; et Bader, et Schramm, et Spinner, et Becker, et Klipfel, tant d’autres, les gars et leurs promises, ces belles filles aux joues frottées de vermillon qui s’installent sans tant de manières sur les genoux qu’on leur offre. Mais on remarquait surtout Suzanne Weiss, la sœur d’un des élèves de Reymond, si exubérante, si rieuse, le teint si animé qu’elle brillait de vie sur la froideur de la neige, en églantine qui se serait trompée de saison.

…Mademoiselle Suzanne ! En parlant d’elle, les voix prenaient des inflexions chantantes. Depuis qu’il la saluait, Reymond trouvait la vallée tout à fait charmante. Kraut lui-même, le veuf gratte-papier et sexagénaire, levait sur elle des yeux de chien assis derrière une porte fermée. Il n’y avait pas jusqu’à M. le juge Döring qui ne s’égarât régulièrement sous les fenêtres des Weiss, le torse sanglé dans une interminable redingote, la boutonnière fleurie de roses de Noël, la moustache retroussée dans les narines, une canne à pommeau d’argent au poing.

Jean et René, André Berger, Émile Zumbach, Charles Weiss, leurs sœurs, leurs cousines, s’en donnaient à cœur joie. Tout ce monde, dans un concert de Herr Je et de Jésus-Maria, par quoi les grosses filles assises sur les genoux des gars recommandaient leurs âmes à Dieu, dégringolait la pente jusqu’au pont où stationnaient ceux qui ne livrent pas leur dignité aux caprices d’un traîneau, les mamans emmitouflées, les papas