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— S’échapper... mais on y pense... on y pense, on ne pense qu’à ça !

Un tout jeune garçon, au moment d’atteindre la frontière avec son camarade, se croyant déjà en Hollande, laissa échapper un mot de français. Une fillette l’entendit et cria : « Französe ! » en s’enfuyant vers sa mère. Après trente nuits de marche, après tant de souffrances et de dangers, il put à peine s’empêcher de pleurer lorsqu’il vit les soldats allemands qui lui barraient la route.

Un soldat parisien avait réussi à se sauver avec un sergent. Ils n’étaient plus qu’à vingt kilomètres de la frontière, lorsqu’ils durent passer une rivière. Lui ne savait pas nager. Alors ils prirent le pont. Des soldats allemands les mirent en joue. Ils risquèrent le tout pour le tout et coururent sur ce pont. Les Allemands tirèrent. Le sergent tomba mort. Lui fut ramené et mis en prison pour quatorze jours... Il ajoute :

— Les parens du sergent avaient un autre fils tué sur le front...

Nous ne transcrivons pas les récits les plus sensationnels. On comprendra pourquoi.

Ils énumèrent les punitions : les jours de cellule, les heures que l’on passe « au poteau, » attaché, les pieds dans la boue, dans la neige, les promenades forcées autour du camp, le dos chargé... les lettres supprimées, pendant trois semaines. Et puis les petites vexations, les deux gamelles de soupe immangeable, que l’on vous force à avaler... Et puis le camp « de représailles... »

— Même au camp de représailles, nous avions organisé des représentations, quand même on n’en avait pas envie... mais pour les faire aller...

Le 13 juillet, ils organisèrent une revue et défilèrent en chan- tant la Marseillaise, et promenant des drapeaux français qu’ils avaient confectionnés avec leurs ceintures rouges et bleues. Quelle affaire ! Les soldats allemands sortirent avec leurs baïonnettes, mais seulement pour les menacer, » car ils savaient bien que les Français ne voulaient que faire un peu de scandale... »

— Les Allemands n’étaient pas excités contre nous, comme ils sont excités contre les Anglais...

Ils citent de menus faits. Ils ont un sourire parfois. Et toujours nous sommes surpris de leur façon objective d’apprécier