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Récits de bataille. Beaucoup d’entre eux furent blessés dans les premières semaines de la guerre. Ils sont restés sous l’impression de ces heures terribles et magnifiques, et ils n’ont pas eu la consolation de la Marne. Il y eut ceux qui furent pris dans les combats de la Meuse et dont les troupes sacrifiées retardèrent les Allemands. Ils demeurèrent ensuite de longues semaines sans connaître la victoire.

Ils gardent l’image indélébile de l’invasion.

— Je vois toujours une femme dont les cheveux brûlaient... Elle tenait son petit dans ses bras. Elle reçut une balle dans la tête et tomba morte. L’enfant tomba sur elle...

Un garçon de Noyon, qui était employé de chemin de fer, a vu passer la cohue des réfugiés de la Belgique et du Nord de la France.

— Les routes étaient noires de monde. Il en venait, il en venait, sans arrêt, le jour, la nuit. Et si misérables, avec une masse d’enfans à qui l’on ne savait quoi donner à manger... Alors, nous qui avions aussi un petit, nous avons eu peur de nous sauver...

C’est ainsi qu’il fut pris, envoyé en Allemagne, où il demeura dix mois sans nouvelles. Quand, au bout de dix mois, il a vu la première carte de sa femme, il a pensé : « Ça me rend vivant ! » Naturellement, il ne recevait pas de colis. On leur donnait une boule de pain pour trois jours. Mais quelquefois, « ils ne pouvaient pas retenir leur faim, » et ils mangeaient tout le pain le premier jour... A force de rester dans la boue et dans l’eau, ils avaient toujours les pieds glacés.

Ils racontent l’horreur des premiers jours, où, blessés, ils attendaient, dans quelque grange, entassés, sans pansemens, sans soins, sans eau, et dévorés par les mouches... Les cama- rades mouraient au milieu d’eux. L’odeur était intolérable...

Puis ce fut le transfert à travers l’Allemagne, dans des wagons de 4° classe, dans des wagons à bestiaux où les blessés étaient entassés sur très peu de paille.

— Plusieurs blessés ont eu des hémorragies. Ils voyaient couler leur sang et ils appelaient au secours... Et ils sont morts là sous nos yeux...

Et puis, c’est la vie des camps.

— Le premier hiver, dans l’infirmerie où j’étais, on avait mis des blessés et des tuberculeux. Trois mouraient par jour, en