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Je n'ai plus d’eau, malgré le rationnement des jours précédens. Il faut que je sois dégagé et qu’un ravitaillement en eau me parvienne immédiatement. Je crois toucher au bout de mes forces. Les troupes, — hommes et gradés, — en toutes circonstances, ont fait leur devoir jusqu’au bout.

Je cite : lieutenans de Roquette et Girard du 53e, Bazy, Albagnac du 142e, tous blessés ; Alerol, Largues, aspirant Tuzel, adjudant Brune du 142e, lieutenans de Nizet et Rebattet, artilleurs, lieutenant Roy et aspirant Bérard du 2e génie, caporal Bonnin du 142e.

Pertes : 7 tués dont capitaine Tabourot du 142e et lieutenant Tournery du 101e. 76 blessés dont 4 officiers et les médecins auxiliaires Conte et Gaillard. Espère que vous interviendrez de nouveau énergiquement avant complet épuisement.

Le devoir du chef est rempli. Il n’a oublié que lui-même.

Puis le fort garde le silence. De toute la journée du 6, les postes optiques aux aguets n’enregistreront plus aucun message. Il se recueille pour braver toutes les souffrances accumulées : la bataille aux barrages, les grenades, et les flammes et les gaz et l’asphyxie, l’horreur des odeurs et des spectacles sans nom, et, par-dessus tout, la soif, la soif qui fait hurler comme les loups et qui arrache la langue et les lèvres.

Est-il mort, est-il vivant ? Est-il pris, est-il libre encore ? On ne sait plus. L’angoisse de savoir torture et excite toute l’armée. Elle se transmet à distance. Comme les signaux, elle va. jusqu’au bout de la nation, elle va jusqu’au bout du monde. En vérité, la terre entière frissonne dans l’attente de ce qui se passe à Vaux. Et c’est le miracle de la résistance qui, seul, a provoqué ce grand frisson d’admiration et d’inquiétude.

Mais le fort n’est pas abandonné. Toute la sollicitude de l’armée est employée à son salut. Sans retard, une nouvelle offensive est montée. Un régiment de zouaves et un régiment d’infanterie coloniale, formés en brigade mixte, sont rapprochés de la région. Dès qu’une préparation méthodique le permettra, ils entreront en ligne.

Une volonté égale anime l’ennemi qui, stupéfait de cette prolongation de lutte, veut à tout prix venir à bout de la défense. A tout prix ? De quel prix exorbitant il a déjà payé chaque mètre carré des pentes du plateau ! Nos observatoires signalent que des fantassins allemands montent en colonnes de