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— J’irai, dit le jeune homme qui ne laisse pas achever.

Le général, dont le fils unique a été tué, le regarde avec une complaisance et aussi une émotion paternelles :

— Ce n’est pas un ordre, mon ami, — pour un peu, il aurait dit : mon enfant. — Ce que je vous demande, c’est plus que le devoir. Sortir du fort est bien. Y rentrer, je ne vous le commande pas.

— J’irai, répète Buffet avec énergie.

— Naturellement, vous serez récompensé : la Légion d’honneur ou la médaille militaire.

— Oh ! non, déclare l’aspirant : j’irai pour rien.

Un officier d’état-major demande à l’accompagner.

— Je préfère être seul, objecte-t-il. A l’arrivée, ce sera plus facile. Et puis, je désire être complètement libre de mes mouvemens.

Le chef d’état-major lui remet les ordres. Il les lit, les relit, les fixe dans sa mémoire et rend la feuille : car il ne doit rien emporter.

La nuit vient, on le conduit en automobile aussi loin que les automobiles peuvent aller. Il serre la main de l’officier qui l’accompagne et, léger, il se jette dans l’ombre où bientôt sa silhouette se perd.

Il a été convenu que, s’il rentrait dans le fort, le projecteur terminerait ses prochains signaux par : Vive la France.

A onze heures et vingt minutes du soir, le message optique transmis du fort de Vaux, après un commencement que le bombardement n’a pas permis de saisir, transmet cette phrase : Vous interviendrez avant complet épuisement : Vive la France.


XI. — LES DERNIÈRES PAROLES

L’effort pour dégager Vaux n’a pas cessé un instant. Mais les attaques de l’ennemi et les nôtres se succèdent, se heurtent, se préviennent, s’annihilent les unes les autres. Aucun des deux adversaires ne parvient à progresser. L’ennemi ne peut déboucher de Damloup à droite et se brise contre la batterie. A gauche, il est barré dans le bois Fumin, et R1 continue de lui tenir tête. La bataille se prolonge dans le fort enfermé, incendié et affamé où l’énergie de quelques hommes éternise la résistance. Mais nous ne pouvons reprendre l’ouvrage extérieur que