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à la France par notre culture, notre pensée, notre art… Mais ces rudes montagnardes de l’Engelberg qui ne parlent qu’un patois allemand, que lui doivent-elles, et pourquoi l’aiment-elles ? Sans doute, ne sauraient-elles pas l’expliquer. Et cependant, elles se sentent obscurément attirées vers la France par le sentiment le plus vivace de leur être simple : l’attachement à leur sol. Les soldats qui viennent vivre dans leur vallée ont souffert en défendant la patrie envahie. Alors elles cherchent, selon leur faible moyen, à leur témoigner leur amour.

Dans cet élan qui, à travers toute la Suisse, porta nos populations au-devant des prisonniers français, je saisis l’expression la plus profonde des sentimens d’un peuple qui a toujours pratiqué la liberté comme une religion. Ouvre-leur tes bras tout grands, ô mon pays, ouvre-leur tes vallées et tes forêts, choie-les sur ton sein maternel, accueille-les le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, car tu sais bien que leur cause est ta cause. Ceux qui versent leur sang pour défendre la patrie envahie, jamais ne t’ont laissé indifférent, toi qui t’es dressé tant de fois devant l’envahisseur, toi dont la volonté de vivre libre fut plus forte que la force : tu reçois comme tes enfans tous ceux qui souffrent pour la liberté !


Ce qu’ils racontent…

Dans l’excitation du voyage et l’allégresse de l’arrivée, encouragés par la sympathie qu’ils lisent dans nos yeux, quelques-uns racontent avec une sorte de hâte fiévreuse, comme s’ils croyaient, à force d’évoquer les images de là-bas, en alléger l’obsession. Les choses qu’ils nous disent, nous les connaissons déjà… Nous avons lu ces journaux de rapatriés qui commencent à paraître. Nous avons lu maint récit des premières semaines de la guerre… Et cependant, à écouter ces paroles, en présence de l’homme qui vécut le drame, en face de ce visage souffrant, en recevant ce regard qui s’anime ou s’attriste et parfois semble comme halluciné, quel relief elles prennent, ces bribes de vie héroïque ou douloureuse, avec quelle violence ils les dressent devant nous, ces images !… Ce n’est pas leur voix seulement qui raconte, c’est tout leur être amaigri, c’est leur geste et leur allure, et c’est tout ce qu’ils ne disent pas qui nous fait tressaillir et qui devient sensible et vivant devant nous.