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Dix minutes plus tard, il insiste : Où êtes-vous? A huit heures, n'ayant pas reçu de réponse ou n'ayant pas pu la déchiffrer, il avoue son angoisse : N'entendons pas votre artillerie. Sommes attaqués par gaz et liquides enflammés. Sommes à toute extrémité.

A neuf heures, enfin, ce signal lui est transmis : Courage, nous attaquerons bientôt.

Le fort, tout le jour, attend. Quand la nuit est venue, il donne des signes d'impatience. Cette nuit qui tombe ne sera-t-elle pas la dernière, ne l'enveloppera-t-elle pas du suaire mortel? Le commencement du message qu'il adresse ne peut être compris : la suite est déjà pareille à une oraison funèbre, il y parle de ses défenseurs au passé :

… jour précédent. Il faut que je sois dégagé ce soir et que ravitaillement en eau me parvienne immédiatement ; je crois toucher au bout de mes forces. La troupe, — hommes et gradés, — en toutes circonstances ont fait leur devoir jusqu'au bout.

N'est-ce pas l'adieu suprême ? N'est-ce pas le râle de l'agonie qui commence ? Et voici que, dans le bombardement formidable qui de part et d'autre couvre de fer et de feu la colline, un de nos postes de projecteurs saisit encore ces signaux fragmentaires :

… 53… blessés… aspire… de pertes. Vous interviendrez avant complet épuisement. Vive la France.

Pour la seconde fois, le poste de Souville répond au fort de Vaux : Reçu votre message. Courage.


Du courage, ce tronçon de fort en trouvera-t-il encore après les trois jours qu'il vient de vivre ? La tempête n'a pas cessé un seul instant d'ébranler le plateau. Elle se déchaîne à gauche sur le retranchement R1 qui a l'audace de résister, à droite sur la batterie de Damloup qui tient le promontoire et balaie le fond de la Horgne et le débouché du village, sur les abords immédiats qui sont défendus à l'Ouest par la Courtine, à droite par les tranchées de Belfort et de Montbéliard. L'ennemi fait succéder les attaques d'ensemble aux attaques locales afin d'emporter d'un coup toute la position ou d'obtenir un fléchissement en un point où il se précipitera. Il y engouffre trois divisions qu'il devra même renforcer par une brigade du corps alpin. Il assiège