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tunnel, la haute vallée déployée, les courbes du Rhône et ils voyaient surgir la ville de Brigue avec ses quatre clochers à boule, silhouettés sur le dédale des montagnes. Brigue qui reçoit tous les convois destinés aux vallées de Conche et de Zermatt, quoique prévenue au dernier moment, ne manqua jamais d’en- voyer sa fanfare jouer la Marseillaise à l’arrivée des convois. Quelques-uns s’en allaient demeurer a Viège. Celui-ci monta jusqu’à Zermatt. D’un bout à l’autre de la dure vallée, de Stalden jusqu’au pied des glaciers, tous les villages bruns, tassés autour de leur église blanche, semblaient en fête. Mais quelle fête sérieuse ! Et quels regards les gens peu loquaces jetaient sur leurs hôtes, à l’aspect si douloureux : un convoi de réformés, de tout jeunes gens et des vieillards, Français et Belges, appartenant aux régions envahies, en vêtemens de civils et plus minables que les soldats.

Lorsque, au crépuscule, nous sommes redescendus, on entendait se répondre les angelus lointains. A cette heure où les forêts s’adoucissent et se fondent en ombres violettes, le vent apportait les sons des cloches et les mêlait. Et il me semblait distinguer les carillons qui montaient des bords du torrent et ceux que sonnaient les villages perchés sur les rampes abruptes. Et c’était comme les voix unanimes et graves de toute la vallée qui priait pour le repos des cœurs de ses nouveaux habitans.


Je regarde un petit carton, marqué du drapeau fédéral et portant imprimés les mots : <c Soyez les bienvenus, soldats de France, » et signé : « Vos amis, les Suisses, » un petit carton qui fut distribué à Stanz à chaque interné français, témoignage irrécusable des vrais sentimens de notre peuple de la Suisse primitive. Il ne se laisse point égarer par certaines feuilles dont nous savons maintenant qu’elles furent inspirées par les Allemands. Certains courans germanophiles ne l’ont point entraîné. Il a balayé les durs souvenirs de 1798. Il a dit aux Français : « Vos amis, les Suisses. » Une vieille femme de la vallée d’Engelberg descendit de son chalet dans la montagne, fit plusieurs heures de chemin pour apporter aux Français le beurre qu’elle avait battu. Une autre offrait des poires séchées. Pauvre régal sans doute... Mais on donne ce qu’on a. Et le don de ces pauvres, qui se sont privés, me touche plus que tout ce que nous pouvons donner, nous autres qui sommes attachés