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car ma présence ne leur nuit en rien. Ils en ont une preuve assez forte donnée l’hiver dernier. Au surplus, ils font très bien, puisqu’ils obtiennent tout auprès de l’Empereur qui, cependant, finit par les apprécier. Murat vient de se faire nommer à un commandement. On dit que c’est sur les bords du Rhin. Sa femme, qui est arrivée de Boulogne et qui est venue me faire une visite ce matin, me parut triomphante, ayant, à ce qu’elle dit, obtenu de l’Empereur tout ce qu’elle désirait. Au surplus, mon cher Eugène, mon opinion est tellement arrêtée sur eux qu’ils ne peuvent plus être dangereux pour moi. Une seule crainte pourrait m’agiter : ce serait leurs intrigues contre mes enfans, si nous avions le malheur de perdre l’Empereur. Je pense, mon cher Eugène, que tu seras bien aise de savoir les nouvelles qu’on débite ici. Je ne te les donne pas comme certaines tant que je n’aurai pas vu l’Empereur. Je te les répète telles qu’elles m’ont été dites.

« Il paraît cependant certain que la guerre est déclarée avec l’Autriche. L’Empereur vient de faire filer en Alsace 150 000 hommes. Il y sera, à ce qu’on dit, à la fin du mois et les logemens sont préparés pour nos deux maisons. Masséna est parti ce matin pour l’Italie où sera le théâtre de la guerre. J’en suis tout effrayée pour toi, mon cher fils, et la tristesse profonde dont j’étais accablée en me séparant de toi et que je conserve était, je crois, un triste pressentiment de ces fâcheuses nouvelles. Ecris-moi souvent, mon cher fils. J’en ai besoin plus que jamais dans ce moment-ci. D’ici quelques jours, si j’en apprends davantage, Mme de La Rochefoucauld te le mandera. On vient de m’assurer que la flotte de Brest était sortie hier pour se rendre en Irlande. Celle combinée est aussi sortie du Ferrol. On ignore sa destination, mais, ce qu’il y a de sûr, c’est que nous avons en mer, dans un petit espace, 56 vaisseaux de ligne, et que les flottes anglaises sont dispersées.

« Adieu, mon cher fils, mon cœur aurait bien des tendresses à te dire, mais je suis si pressée de t’embrasser comme je t’aime. Adieu, mon bon Eugène. C’est à regret que j’écris toujours ce vilain mot d’adieu. »

D’une autre main (Mme de La Rochefoucauld) [1] :

  1. Mme de La Rochefoucauld, née Pyvart de Chastulé, dame d’honneur de l’Impératrice, était très proche parente de la grand’mère d’Eugène et pour cela cousinait avec l’Impératrice.