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d’Etat. On était cousin de l’Empereur. « Mon cousin, écrit l’Empereur à Eugène, ce changement n’apporte aucun obstacle à votre carrière militaire ; votre titre est : le Prince Eugène, archichancelier d’Etat. Vous recevrez celui d’Altesse Sérénissime. Vous n’êtes plus colonel général des chasseurs. Vous restez général de brigade, commandant les chasseurs à cheval de ma Garde. »

Et, bien mieux que par le titre et la dignité, il habilite Eugène à n’importe quelle fonction par ce message au Sénat : « Au milieu des sollicitudes et des amertumes inséparables du haut rang où nous sommes placé, notre cœur a eu besoin de trouver des affections douces dans la tendresse et la consolante amitié de cet enfant de notre adoption. » Voilà un mot grave et qui porte. Eugène le reçoit à Lyon : « Tu connais ma nouvelle dignité, écrit-il à Bessières. Tu connais surtout le message du Sénat. Tu me connais surtout et tu dois aisément juger de tout ce que j’éprouve. C’est impossible à peindre. Je t’avouerai que, connaissant les bonnes intentions de l’Empereur à mon égard, j’osais m’attendre à quelque chose, mais à rien de si beau, de si flatteur pour moi. Je te jure que j’en suis confus. » Désormais les situations envoyées à Bessières concernant le « Détachement de cavalerie commandé par S. A. S. le prince Eugène » sont signées le Prince Eugène et malgré qu’avec Bessières il conserve le tutoiement et s’efforce à la familiarité, on trouve dans le ton quelque apprêt qui est nouveau, comme dans cette lettre du 29 pluviôse où il dit : « Je te prie d’être l’interprète de mes sentimens distingués pour ta respectable famille. » Il arrive péniblement à Lans-le-Bourg, ayant subi à Modane une tourmente qui a fait beaucoup souffrir hommes et chevaux. Un certain nombre ont failli périr par des éboulemens de terre ou de rochers. Puis, c’est le Mont-Cenis, « détestable depuis huit jours, » et qu’il faut passer coûte que coûte, car il n’y a plus de fourrages. Enfin on passe ; on est à Verceil où l’on fait séjour et d’où Eugène peut enfin répondre aux lettres de compliment qui lui arrivent par centaines. Dans la lettre qu’il adresse à Mme Campan, il dit en finissant : « Veuillez donc accorder au Prince Eugène votre amitié et à Eugène cette ancienne bienveillance dont le souvenir lui est si cher. »

Il arrive à Milan le 25 ventôse (16 mars). Sur huit cent quatre-vingt-dix hommes et chevaux, il n’a laissé en route