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grande cérémonie de Notre-Dame, à porter un des honneurs de l’Empereur, l’anneau, — non point celui que Napoléon vient tout à l’heure d’échanger avec Joséphine, mais celui qui atteste l’indissoluble union de l’Empereur avec l’Empire. Et de cette fonction, comme de toutes celles qu’il reçoit, il s’acquitte avec une grâce infinie. Il faut avouer qu’entre les costumes qu’a dessinés Isabey le sien est un des plus seyans : il porte le dolman vert et la pelisse rouge brodés d’or, le pantalon et les bottes brodés de même, ainsi que la saberdache, et le fond du bonnet de poil d’ours. Le bon temps pour les brodeurs : 472 francs pour la saberdache et 272 pour le fond du colback !

Cela dispense-t-il le colonel des chasseurs de la Garde de quelque exercice ou manœuvre ? point du tout, peut-être même au contraire. Tout à l’heure, il était à Pont-de-Brique avec son régiment et jamais la vie n’y fut plus active. « Tous les jours, écrit-il à Bessières, nous restons dix, douze et quatorze heures à cheval. » Il commande les escortes dans le voyage sur la rive gauche du Rhin, et comme il trime ! « Nos détachemens, écrit-il, sont assez fatigués. Sur les deux cents hommes venus d’Ostende et de Dunkerque, il y en a trente-cinq malades... » « L’intention de l’Empereur est de faire des courses à cheval, parce que les chemins sont mauvais pour les voitures, sur Juliers, Gueldre, Vanloo et toute la rive du Rhin jusqu’à Cologne. » Nul n’a le droit d’être las ; tout ce monde est jeune, enthousiaste, affolé d’ambition, constamment excité par des honneurs nouveaux. Ainsi Eugène sera-t-il membre de la Légion le 12 frimaire XII (4 décembre 1803), commandant le 25 prairial (14 juin 1804), général de brigade le 25 vendémiaire XIII (17 octobre 1804). L’unique emploi civil qu’il ait reçu jusqu’ici est celui de président du collège électoral de Loir-et-Cher : peu de chose.

L’Empereur est sur le point de partir pour l’Italie où toutes sortes d’affaires exigent sa présence. Eugène commandera les escortes de cavalerie et, étape par étape, conduira ses chasseurs, grenadiers, gendarmes, mamelucks, artilleurs, de Paris à Milan, par vent, pluie, neige et tempêtes. C’est de ces marches où l’on peut laisser la moitié de son monde et sa réputation. La commission peut sembler hors de proportion avec la dignité de colonel général et le reste. Mais Eugène, assure-t-on, n’a pas compris que, sur les terres impériales, la chasse est interdite et qu’il est dangereux même de ramasser le gibier qui s’offre et