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Tallien, Barras, la citoyenne Cabarrus ? A la décoration et l’ameublement de l’hôtel, Eugène, secondé par l’architecte Bataille et par Calmelet, son intendant, dépense, assure-t-on, 1 800 000 francs : il en fera la plus belle et la plus élégante maison qui soit à Paris. On en peut encore juger, car les propriétaires ont eu le bon goût, depuis un siècle, de n’en rien distraire et de n’y rien ajouter.

Il ne manque pour Eugène qu’une femme ; aussi chacun s’empresse à le marier : tantôt à une nièce de M. de Talleyrand, Mlle de Périgord, tantôt à Mlle de Rohan. Il eût pu entrer alors dans les intentions de Bonaparte d’allier les siens aux familles les plus grandes qu’il y eût en France, et cela eût pu être d’une politique soutenable ; mais cela lui passa, et il ne trouva plus bientôt que, si bien nées fussent-elles, les filles de la noblesse française profitassent à ses desseins. Il ne poussa donc pas.

D’ailleurs, à l’Empire, il sembla quelque peu refroidi vis-à-vis d’Eugène. S’il avait pensé à une adoption, l’idée en a passé. On lui a donné ou il a pris quelque jalousie de ce joli garçon, qui a tout pour plaire et qui y réussit. Au lieu de l’élever dans la hiérarchie nouvelle, il le laisse au rang où il est, qui, étant celui de colonel, le met fort loin ; Eugène « se trouve relégué, par son rang et ses fonctions, dans le salon d’attente le plus éloigné des Appartemens. » On a compté qu’il marquerait un mécontentement dont on profiterait. « Il ferme la bouche à ses bons amis de cour, en leur disant qu’il se trouve bien partout où le devoir le place. » Comme s’il voulait l’éprouver, Napoléon lui fait offrir par Joséphine l’office de grand chambellan. Quelle situation c’eût été créer, et comment eût-on envisagé les rapports quotidiens ? Eugène s’excuse sur ce que cet emploi ne convient ni à ses goûts, ni à son caractère, « sa vocation étant toute militaire. » Loin de lui en tenir rigueur. Napoléon paraît lui en savoir gré. Eugène veut rester dans le militaire, soit. Il ne recevra à la vérité qu’une dignité purement honorifique, qui n’est point un grade et qui ne comporte pas d’emploi : elle est de parade et de fantaisie, mais donne place parmi les dignitaires. C’est Eugène, le fils de l’Impératrice, qui, à Fontainebleau, le jour de l’arrivée de Pie VII, dîne avec le Souverain Pontife ; mais c’est le colonel général Beauharnais qui, seul avec les maréchaux d’Empire, est appelé, dans la