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Après avoir écrit cette lettre qui doit mettre Joséphine en éveil et qui ne parvint jamais, car elle fut prise en mer par les Anglais, Eugène continue son service simplement. Bonaparte, se tenant pour libéré de fidélité conjugale, a une fantaisie pour une petite femme, à minois et à tournure de modiste, qui est venue de Carcassonne en Egypte, costumée gentiment en chasseur à cheval, à la suite du mari, lieutenant au 22e, qu’elle vient d’épouser. La liaison établie entre Bonaparte et Bellilote, comme on appelle Mme Fourès, le général se montre partout avec elle : tantôt elle est à ses côtés dans la calèche, l’aide de camp de service trottant à la portière ; tantôt elle caracole en habit de général, bicorne à plumes tricolores en tête, sur un cheval arabe dressé tout exprès. Eugène n’est point dispensé d’accompagner et de suivre. Cela fait un curieux pendant à ce qui se passe à Paris et à Malmaison.

En Syrie, où, promu lieutenant, il accompagne son général, il prend une part brillante aux opérations et est blessé à la tête devant Saint-Jean-d’Acre. Par chaque courrier, il donne des nouvelles à sa mère ; il lui raconte la bataille du Mont-Thabor, il lui annonce la prise prochaine de la ville : « J’espère, écrit-il, que ma première lettre sera datée de la ville d’Acre : elle nous aura donné du mal, mais nous l’aurons, et sous peu. »

La retraite fut dure et, après Aboukir, qui avait cette fois sauvé l’armée, le général jugea indispensable sa rentrée en France : Eugène l’accompagna, et ce fut lui qui, de Fréjus, le n vendémiaire, à quatre heures du soir, avertit sa mère de la prochaine arrivée de Bonaparte. Son courrier n’a que deux heures d’avance sur le général, mais celui-ci muse en route, s’arrête à Aix, à Avignon, à Lyon, à Nevers ; il arrive rue de la Victoire, le 24, à six heures du matin. Joséphine, partie à sa rencontre sur la route de Bourgogne, a dû pousser jusqu’à Lyon, et en revenir. Le général est décidé à la rupture ; il s’enferme dans sa chambre. Hortense et Eugène, à genoux devant la porte, supplient pour leur mère. Bonaparte ne sut jamais résister aux larmes. Il cède.

Après Brumaire, c’est une carrière de prince du sang qui se dessine pour Eugène. Avant même que Bonaparte soit officiellement Premier Consul, le 1er nivôse (22 décembre 1799), il nomme Eugène capitaine : comme capitaine, Eugène charge à