Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rentré à Paris au plus tard à la fin de nivôse (février 1798), il passe quelques mois à jouir de sa nouvelle vie, à se faire gâter par sa mère et par sa sœur, à prendre une notion des manœuvres militaires, à se préparer aux expéditions que son beau-père va entreprendre. Où Bonaparte mènera-t-il son armée ? Qu’importe aux dix-sept ans d’Eugène ? En Egypte ? va pour l’Egypte ! Mais s’il y porte toute l’ardeur de son jeune courage, il est singulièrement affecté par ce qu’un hasard lui a fait entendre : dans un entretien que Bonaparte eut avec ses aides de camp, Junot et Julien, et avec son chef d’état-major, Berthier, il a été question de Joséphine, de ses imprudences avec le nommé Hippolyte Charles qu’elle a connu à Paris, en Italie, adjudant de Leclerc, et qui est devenu indispensable à sa vie. On a dit au général à peu près tout ce qu’il en est, et le fils a tout entendu : « Tu penses bien, maman, que je ne crois pas cela, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le général est très affecté. Cependant il redouble d’amabilité pour moi. Il semble, par ses actions, vouloir dire que les enfans ne sont pas responsables des fautes de leur mère. Mais ton fils se plait à croire tout ce bavardage inventé par tes ennemis. Il ne t’en aime pas moins et n’en désire pas moins l’embrasser. » Et, en terminant, cette phrase : « Depuis six semaines, point de nouvelles, point de lettres de toi, de ma sœur, de personne. Il ne faut pas nous oublier, maman ; il faut penser à tes enfans. Adieu, crois que ton fils sacrifierait mille fois son bonheur au tien. » Ainsi, par une réticence qui pourrait être de style, Eugène se refuse à croire, mais il sait tout, et dans de tels détails qu’il ne saurait garder d’illusion. En a-t-il sur les autres personnages qui ont traversé la vie de sa mère : Hoche et Barras, par exemple ? N’importe : celui-ci suffit ; celui-ci qui est sans excuse, même d’un coup de cœur. Bien que renseigné, Eugène ne juge ni ne condamne. Il accepte ; il ne donne point aux actes physiques une portée ni une sanction morale. Ne voit-il pas, chez sa tante Renaudin-Beauharnais, une fille de son père, la nommée Adélaïde, dite Adèle, élevée à frais communs par sa tante et par Joséphine ? Il n’a point pris ombrage, dans ce milieu où s’est écoulée son adolescence, de cette sensualité qui, sans mauvaise tenue, accorde les désirs, fût-ce pour un seul jour. Dans un temps revenu au paganisme, il semble que l’attrait physique excuse, justifie tout, même aux yeux des enfans.