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Pour correspondans, Joséphine leur a donné les deux Tallien, mari et femme, et Barras. Jérôme Bonaparte est venu rejoindre Eugène à la pension Mestro et Mme Tallien y a placé dans la même chambre le fils qu’elle eut du premier de ses innombrables lits, Théodore Devin de Fontenay, qui pour lors marche sur sept ans. Eugène est le grand aîné de la chambre, car il touche à quinze ans, mais Jérôme, qui n’en a que douze, mène, ou croit mener tout le monde, tranche et décrète. Le paradis est à Chaillot chez les Tallien. Seulement, parfois, il fait relâche. Monsieur et Madame ont eu dispute et vont se séparer ; mais Barras intervient et se charge des reprises à ces déchirures conjugales. Plus souvent qu’il ne faudrait pour le cours des études, Barras fait prendre les enfans, pour une fête, un diner, une promenade, simplement parce que cela le distrait et, dans ce rôle, il paraît bon homme. Hortense est de quantité de dîners, où des généraux venus d’Italie, des littérateurs, des diplomates la traitent comme une dame. Eugène parait moins fait, quoique de deux ans plus âgé ; mais c’est le cas des garçons. Quant à Jérôme, on lui donnerait une armée à conduire ou un royaume à gouverner, il ne s’en étonnerait pas plus que de la couronne de lauriers dont on le coiffe par procuration et des discours qu’on lui adresse comme s’il revenait d’Italie.

Tout de même, elle est conquise, cette Italie : Rome a été épargnée, mais c’est que Bonaparte n’a point voulu y entrer ; l’Istrie, la Carinthie, la Carniole, la Styrie, tout cède au vainqueur ; un pas de plus, il est à Vienne. De Mombello, où il se repose, jouit de son triomphe, organise la Cisalpine, il appelle Eugène qu’il se donne pour aide de camp (10 messidor V — 28 juin 1797) ; deux jours plus tard, il le fait nommer sous-lieutenant au 1er régiment de hussards. L’enfant n’a pas seize ans, mais il est des grâces d’état — même, surtout en république.

On le voit bien, car du sous-lieutenant Eugène, Bonaparte va tout à l’heure faire presque un ambassadeur, pour porter aux Sept-Iles le traité de Campo Formio. L’enfant trouve à Corfou M. de Corbigny, qui lui est le plus précieux des introducteurs, et il rentre par Naples et Rome ; à Rome, où Joseph Bonaparte ambassadeur prépare la République romaine, il tombe en plein dans cette émeute que les commensaux de l’ambassade ont provoquée et où le général Duphot est tué. Il ne tint pas à Eugène qu’il partageât son sort ; au moins rapporta-t-il son cadavre.