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aîné, c’était de quoi mettre le marquis dans la plus fâcheuse posture.

L’expédient du mariage était admirable, mais il fallait qu’il réussît. M. de Tascher y portait toute la bonne volonté désirable, mais sa fille Catherine-Désirée qui, en rapport d’âge avec Alexandre, eût été, pour l’extérieur, la plus désirable, mourut tout juste à ce moment. La dernière des filles. Manette, ne voulait point traverser la mer et opposait une résistance qu’on ne pouvait vaincre. Restait l’ainée, mais n’était-elle pas bien âgée pour le fiancé qu’on lui destinait ? Elle était née en 1763, lui en 1760 ; mais elle n’était point jolie, au dire même de son père, elle avait" seulement une fort belle peau et de très beaux bras, » et elle mourait du désir de venir en France.

Pour le marquis et pour Mme Renaudin, ce qu’il fallait, c’était une fille de M. de Tascher : « Il nous faut une enfant à vous, » dit Mme Renaudin ; et lâchant la grosse raison à qui sait l’entendre, M. de Beauharnais écrit à la fin : « Je pourrais mourir et alors les tuteurs de mon fils, mineur de quatre ans, qui soupire après cette alliance, voudraient peut-être s’y opposer et lui en proposer une autre. » Mme Renaudin sait bien que, si le mariage manquait, ce serait le désastre ; que pour peu que le jeune homme sortît de page, il apprendrait la sottise à laquelle on le pousse, d’épouser une fille presque de son âge, sans dot, sans héritage, sans famille ni entours, pas même jolie et point du tout au ton de la société. Pour une telle affaire, car il ne pouvait être question d’amour, il fallait qu’on lui eût noué un bandeau sur les yeux et qu’on l’y tînt ferme.

En effet ! Mais de ce travail Joséphine est innocente et victime ; seule Mme Renaudin mène le branle. Peut-être croit-elle en cela servir sa nièce, mais elle sert d’abord elle et le marquis.

De fait, la vie de ces deux êtres, Alexandre et Joséphine, a été gâtée par cette mauvaise action de la Renaudin ; parce « mariage forcé, » qui n’est point une comédie, et qui tourne au drame. Et aussi la vie des deux enfans qui naîtront de cette union : l’aîné au temps où l’on peut encore garder quelque illusion, la cadette au moment où tout est brisé et où les liens sont déjà rompus.

Il faut par quelques dates préciser les faits, indiquer le cours de ces existences et noter en particulier les allées et venues des uns et des autres.