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publiquement acoquinée avec l’ex-gouverneur, lequel se trouvait fort empêche, ses deux fils approchant de leur majorité, de leur rendre compte de la succession de leur grand’mère. Mme Renaudin eut alors une idée de génie : sur l’ainé des fils, elle n’avait plus de prise ; il était marié à une de ses cousines Beauharnais ; mais que ne pourrait-elle sur le second qui n’avait pas vingt ans, dont elle était la marraine, qu’elle avait presque élevé et dont elle s’était ménagé la confiance ? Il aspirait à s’émanciper et, s’il se portait dans une autre famille, il demanderait assurément ses comptes : ce qui serait grave.

Mme Renaudin avait laissé à la Martinique deux frères dont un avait des filles à peu près en âge d’être mariées. Une lettre du marquis de Beauharnais avertit M. de Tascher qu’on lui en demandait une, n’importe laquelle, et qu’il dût, tôt et vite, l’amener en France. Tout cela assurément enveloppé des formes voulues. Joseph de Tascher de la Pagerie ne pouvait guère s’attendre à cette fortune. Sans doute était-il d’ancienne noblesse percheronne, et mieux né que les Beauharnais ; sans doute, avait-il été admis page de la Dauphine, ce qui demandait les mêmes preuves que la Grande Ecurie. Mais sa vie avait été fort dérangée et sa carrière des moins brillantes.

Rentré à la Martinique sans avoir profité des avantages qui lui étaient acquis, il s’était contenté de figurer comme sous-lieutenant à une compagnie franche de marine, puis comme lieutenant chez les canonniers gardes-côtes : s’étant marié à Rose Desvergers de Sanois, il s’était un peu remonté et avait fait valoir les terres que sa femme possédait aux Trois-Islets et à Sainte-Lucie, mais il dépensait à Fort-Royal plus qu’il n’en tirait. Le passage de Beauharnais au gouvernement eût pu lui être de secours, mais, tout au contraire, les circonstances en avaient fort déconsidéré la famille de Mme Renaudin. De l’opinion il n’y avait point à se soucier et il fallait voir les faits. Or, au départ du marquis, Mme Tascher la mère (née Boureau de la Chevalerie) avait accepté de garder le fils dont Mme de Beauharnais était accouchée avant son départ ; et elle l’avait tenu chez elle durant toute sa première enfance, et ce fils était justement le cadet, cet Alexandre dont Mme Renaudin était la marraine et auquel son père était bien embarrassé, venant ses dix-huit ans, de rendre les 291 559 livres 13 sols 10 deniers qu’il lui devait. Avec les 103 625 livres que réclamait le fils