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être, vis-à-vis de celles-là, les seuls qui n’aient point à faire échange de désirs. De plus, à cette fureur de plaisir qui entraine les femmes, sorties par miracle des prisons, par miracle échappées à la guillotine, les femmes qui, n’ayant jamais été retenues par la morale religieuse, ne le sont plus même par la décence sociale, auxquelles le divorce apparaît justement comme un oiseux préliminaire de l’union libre, il semble que certains de ces jeunes gens opposent volontiers une forme d’esprit raisonnante, un étonnement indulgent et quelque peu dédaigneux. Cela n’est qu’en nuances, car, pour tout concilier, tout adoucir, tout rendre aisé, il y a, de la part de la femme, un extrême goût de plaire, de la part de l’homme une extraordinaire complaisance. Ainsi ne s’emporte-t-on pas et se garde-t-on des brutalités, même de paroles. D’ailleurs, certains actes qu’une morale plus stricte réprouve et condamne étaient alors sinon admis, au moins tolérés, au point qu’il ne paraissait point très surprenant qu’un fils y fit allusion, ne fût-ce que pour avertir sa mère et la mettre en garde.

De même arrive-t-il que, dans des querelles entre cette mère et son mari nouveau, celui-ci prenne pour arbitre le fils qu’elle eut d’un autre homme, qu’il le charge de lui faire entendre raison sur des objets tout à fait intimes, des fautes de conduite, des résolutions concernant leur communauté de vie ou leur séparation. Loin d’être unique, comme on pourrait le penser, ce cas s’est présenté ailleurs et l’on en pourrait donner pour preuves des correspondances authentiques échangées entre mère et fils bourgeois.

Il convenait d’indiquer cette nuance qui pourrait surprendre. Elle n’est point très accusée dans les lettres de Joséphine, bien qu’elle s’y rencontre ; elle est plus vive dans les quelques réponses que nous avons d’Eugène. Il prévient, mais c’est qu’il sait tout ; il reprend, il conseille, il blâme, il corrige, et cela est tout à fait curieux. On lui prêterait volontiers sur cela un caractère de jeune raisonneur, — qu’il eût pu tenir d’ailleurs de son père Alexandre, — mais qui tromperait sur sa nature véritable : car, jusqu’à son mariage tout au moins, il fut un gai compagnon, et, si appliqué qu’il fût au métier militaire, il ne donnait sa part ni des imaginations plaisantes, ni des aventures amoureuses, ni des soupers en brise-pot. Sur la foi de sa mère, il faut se garder de le prendre pour un Grandisson qu’il n’était