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Le témoignage que lui a rendu l’empereur Napoléon III témoigne de la reconnaissance émue qu’après soixante ans il en avait gardée ; ses lettres au prince Eugène ne sont pas moins probantes : mais la mère fut fort différente de la grand’mère, et, selon qu’elle eut affaire à sa fille ou à son fils, la mère fut encore singulièrement inégale.

Assurément, elle pensait qu’elle aimait sa fille ; elle la plaignait souvent d’avoir une mauvaise santé et, parfois, de ne point vivre en accord parfait avec son mari ; mais Hortense était là d’abord pour lui servir. Elle a imaginé qu’il lui serait profitable que sa fille épousât Louis Bonaparte. Connaissait-elle son état physique ? son état mental ? Depuis six ans, elle le voyait habituellement et, des frères de son mari, c’était le seul qu’elle eût pu pénétrer, si elle s’y était arrêtée ; mais elle n’a pas envisagé comment et pourquoi il ne pouvait faire que le plus détestable mari : il a suffi qu’elle crût utile de l’unir à sa fille pour qu’elle le poursuivît, l’acculât, l’amenât enfin, la corde au col, à un mariage où l’épouse était noyée dans les larmes. Et, de même, n’avait-elle pas fait de sa fille tantôt sa garde-malade, tantôt l’amuseuse de Bonaparte ? Ne s’en débarrassait-elle point, pour peu qu’elle la trouvât gênante, en l’envoyant ici ou là, en la confiant à quelque amie créole, à Mme Campan, ou à Mme Tallien, ou à Mme de Crény, ou à Mme Renaudin, ou à bien d’autres ? On ne saurait dire qu’elle s’en fût occupée, jusqu’au jour où elle pensa qu’Hortense pouvait faire un atout dans son jeu et où elle la tira de son écart.

C’est bien pis pour son fils, tant qu’il est petit. Il paraît ne lui être d’aucun souci : séparé d’elle durant sa première enfance, il traverse ensuite des pensions où elle est empêchée par ses plaisirs et ses affaires de l’aller voir ; bientôt, ce ne sont plus des collèges, mais des camps qu’il habite, et elle trouve fort bon qu’il soit soldat à treize ans. Mais, quand Eugène est devenu un jeune homme, qu’il court sur dix-sept ans, il paraît mûr pour devenir, sinon un confident, au moins un Mentor. Elle le consulte et prend ses avis. La confession est à ce point un besoin de la femme qu’à défaut du prêtre qui lui manque, qu’elle dédaigne ou qu’elle croit haïr, elle prend une amie, sa femme de chambre, rarement son amant, et ici son fils. Cette façon, si étrange soit-elle, n’est point unique. La Révolution a rajeuni les mères en mûrissant les fils. Ceux-ci semblent bien