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Mais cette guerre prodigieuse où se trouve engagée plus de la moitié du genre humain, et dont les phases multiples se déroulent sur les terres de trois des cinq parties du monde, ne s’arrête pas à la mer. L’Europe est trop étroite pour elle. En Asie Mineure, l’Empire ottoman rompu donne encore des coups de reins et réagit par soubresauts. L’avance des Russes en est de temps en temps suspendue ou retardée, mais leur situation n’en est ni diminuée ni compromise. Le front du Caucase tient solidement. L’insurrection arabe crie dans les villes saintes, à la Mecque, à Médine, par la voix de tous ses muezzin, du haut de tous ses minarets, qu’il n’y a de Dieu que Dieu, que Guillaume II n’est pas son prophète, et que le padischah de Constantinople, ombre de l’Empereur, n’est plus que le Commandeur des mécréans. Sur le continent noir, les colonies allemandes ont disparu l’une après l’autre. La Grande-Bretagne et nous, avec l’aide de nos Alliés, nous avons, suivant le mot célèbre, « mangé l’artichaut feuille à feuille. » C’est aujourd’hui le tour de l’Afrique orientale, dont la capitale, Dar-es-Salam, vient de tomber sous les efforts combinés des Anglais, des Belges, des Portugais et des Boers, et qui n’a plus de ports pour se ravitailler. Si M. de Bethmann-Hollweg le désire, nous pouvons reprendre sa « carte de la guerre, » ou mieux la nôtre, qui est plus complète, et compter les milliers de kilomètres carrés. Ne compter que les siens, négliger tout ce qui n’est pas la Belgique et la Pologne, ce n’est pas du jeu, du terrible jeu qu’on nous a forcés à jouer ! Que les Allemands étalent, pour se leurrer eux-mêmes, ce qu’ils appellent « leurs gages ; » quand nous en serons là, nous abattrons les nôtres ; mais nous n’en sommes pas encore là. Tout va bien, mais ne va pas si vite. « Lent, dur, sûr : » il faut endurer pour durer ; durer pour aller jusqu’au bout ; aller jusqu’au bout pour ne pas avoir à recommencer dans dix ans, dans vingt ans, pour faire, — autant qu’il est permis à la fragilité des hommes, — du solide, du « définitif ; » de quoi respirer librement, vivre en une vraie paix un siècle ou un demi-siècle.

C’est vers cette unique pensée et cet objet unique que nous devons tous avoir l’esprit tendu. Ce qui se passe en Grèce ou ce qui ne s’y passe point ne saurait nous en distraire. Il y a, dans « la Grèce contemporaine, » deux ou trois théâtres au moins ; un à Salonique, avec succursales à Brama et à Cavalla, l’autre à Athènes. A Salonique, à Drama, à Cavalla, la troupe (sans équivoque sur le mot de troupe) est presque exclusivement composée de militaires. A Athènes, elle est recrutée parmi les gens de Cour, les hommes politiques, et tout