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Dans le même ordre d’idées, on peut rappeler les circonstances romanesques qui accompagnent le retour à la terre de l’obus lancé dans la lune par l’imagination de Jules Verne dans son livre De la terre à la lune. L’auteur nous dit que l’arrivée du projectile qui s’enfonce en bruissant dans la mer est précédé d’un intense sifflement venu des couches élevés de l’atmosphère. Pour une fois l’ingénieux romancier s’est trompé, car il est manifeste que le sifflement de son obus tombant en vertu de la gravité avec une vitesse très supérieure à celle du son n’a pu en aucune façon précéder le plongeon dans la mer de l’obus lui-même.

Pour en finir avec les bizarreries qui se rattachent au bruit que font dans l’air les projectiles, il est une remarque que nous avons souvent faite en entendant sur nos têtes le long sifflement des obus, ou tout près de notre oreille le « pftt » léger et gazouillant des balles Mauser. On remarque, surtout avec les balles, que ce sifflement commence par être très aigu, puis prend brusquement un timbre beaucoup plus grave avant de s’évanouir. De même fait le hululement des gros obus qui soudain baisse de ton dans le moment qu’ils passent au zénith. La raison en est simple. Pendant que le projectile se rapproche de l’oreille, la longueur des ondes sonores qu’il nous envoie est diminuée de sa vitesse : ces ondes sont donc plus courtes que si la balle ou l’obus était immobile, donc le son est plus aigu. Au contraire, lorsque la balle ou l’obus nous a dépassés et s’éloigne, leur vitesse s’ajoute à la longueur des ondes sonores qu’ils nous envoient, et le sifflement devient plus grave. C’est le même phénomène qui fait que, lorsqu’un express traverse une gare à toute vitesse en sifflant, les voyageurs placés sur le quai remarquent que le son du sifflet devient brusquement plus grave dès que la locomotive les a dépassés.

C’est encore le même phénomène qu’on utilise dans la spectroscopie astronomique pour déterminer la vitesse d’éloignement ou de rapprochement des étoiles par le déplacement de leurs raies spectrales.

Ainsi, bon gré, mal gré, par une sympathie que crée la physique, le reflet furtif des étoiles vient mêler sa nostalgique douceur jusqu’aux tumultueuses réalités de la bataille.


CHARLES NORDMANN.