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vitesse moyenne diminue quand la portée augmente, puisque le projectile se ralentit peu à peu ; il arrive un moment où celui-ci tiré de très loin a une vitesse moindre que celle du son. A partir de cet instant les ondes sonores de la détonation de départ regagnent peu à peu leur retard sur l’onde de choc, et il arrive un moment, ou plutôt il se trouve un point de la trajectoire où elles la rattrapent ; pour les portées supérieures à celle-là, l’obus, quelle que soit d’ailleurs la grandeur de sa vitesse initiale, est de nouveau précédé au point de chute par le bruit du coup de canon et par son sifflement avertisseur.

De tout cela résulte dans la nature, l’intensité et la succession des divers bruits produits par les coups des canons à grande ou à faible vitesse initiale une profonde diversité où seule une grande habitude, jointe à beaucoup de sens critique, permet de se reconnaître.

Quelques chiffres illustreront par un exemple ce qui précède : l’obus de notre 75 lancé à la vitesse initiale de 529 mètres va d’abord beaucoup plus vite que le son du coup de départ, et son claquement le précède d’une quantité qui augmente peu à peu jusqu’à valoir 1 seconde à 2 200 mètres ; à cet instant, la vitesse de l’obus est réduite à 330 mètres environ ; il s’ensuit qu’à partir de ce moment, le retard de l’onde ordinaire sur l’onde de choc diminue de nouveau jusqu’à ce qu’à 4 700 mètres la première ait rejoint la seconde. Un observateur situé dans la direction de la trajectoire entendra donc 2 détonations successives, s’il est à moins de 4700 mètres environ de la pièce ; au delà, il n’en entend plus qu’une. En outre, à partir de 2 200 mètres, il entend l’obus siffler, ce sifflement se plaçant entre les deux détonations qui l’encadrent. Au delà de 4 700 mètres, le sifflement suit la seule détonation qui reste entendue.

Ces phénomènes ont des conséquences bien étranges : tout d’abord, au delà d’une certaine distance, la détonation du départ du coup est tellement affaiblie qu’on n’entend souvent que le seul claquement du projectile. Lorsque l’oreille reçoit l’onde de choc, elle tend naturellement à reporter l’origine de ce son à une direction perpendiculaire à celle du front de cette onde ; or il est clair que cette direction diffère beaucoup de celle de la bouche à feu et qu’elle passe toujours très en avant de celle-ci, et d’une quantité d’autant plus grande que la vitesse initiale du projectile est plus forte. Autrement dit, la direction où l’on croit entendre le coup n’est nullement celle d’où il est parti. De là résultent fréquemment des illusions et des erreurs très dangereuses en campagne. Si on entend une détonation devant soi, rien ne prouve qu’elle provienne d’une bouche à feu située dans cette direction. On