Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obusier allemand de 15 centimètres lancé à la vitesse initiale de 245 mètres par seconde, lorsqu’il est tiré à 1 500 mètres de distance, arrive au point de chute environ 2 secondes après qu’on y a entendu le départ du coup. Lorsqu’il est tiré à 5 400 mètres, il arrive au but 27 secondes après qu’on y a entendu le départ.

On a donc largement le temps de s’abriter, dans un grand nombre de cas. On est d’ailleurs mis en garde non seulement par la détonation, du départ du projectile, mais aussi, lorsque la direction qu’il prend est dangereuse pour l’observateur, par le sifflement avertisseur qu’il fait dans l’air. Ce sifflement est dû au frottement dans l’atmosphère de l’obus qui est animé d’une rotation rapide, a une forme imparfaitement homogène et subit d’ailleurs sur sa trajectoire des mouvemens de balancement, de rotation périodiques ; en outre, la cause principale du sifflement de l’obus parait être qu’il rencontre dans l’air les discontinuités (condensations et dépressions) des ondes sonores de la détonation qui l’y ont précédé.

Dans la très curieuse et pénétrante étude qu’il a consacrée naguère ici même [1] à « l’esthétique des batailles » M. Robert de la Sizeranne a rappelé que « jadis à Sébastopol, chaque coup de l’ennemi était annoncé par le veilleur qui criait : « Mor-tier ! » et tout le monde se jetait à terre, attendant que la bombe eût éclaté. » Le souvenir évoqué par M. de la Sizeranne est redevenu dans la guerre actuelle une réalité, et beaucoup d’hommes ont été sauvés des éclats mortels par le bruit précurseur de la détonation qui les avertit de s’abriter ou simplement de se coucher. Mais, à cette époque, les obus n’avaient jamais de vitesses moyennes supérieures à celle du son. Aussi la physionomie acoustique des batailles était bien moins complexe que maintenant.

Il n’en est en effet plus de même pour les canons à grandes vitesses initiales tirant aux distances moyennes. Les projectiles tirés par eux se propagent d’abord beaucoup plus vite que le son ; il s’ensuit que lorsqu’on est près de leur point de chute, aucun bruit de détonation et non plus aucun sifflement ne nous a averti du danger. Aussi les soldats redoutent beaucoup plus que les projectiles des obusiers, ceux des canons longs qui arrivent, si j’ose dire, à l’improviste et sans crier gare.

Tout ce que nous venons de dire ne s’applique aux projectiles à grande vitesse initiale que dans la première partie de leur trajet où leur vitesse moyenne est supérieure à celle du son ; mais cette

  1. Voyez la Revue du 1er août 1915.