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les obus sont très variables par rapport à un observateur donné, il en résulte une sorte de dislocation très curieuse des impressions auditives et visuelles, et il arrive continuellement, par exemple, que lorsqu’on voit éclater successivement deux obus, c’est le dernier arrivé qu’on entend éclater d’abord.

Si on veut me permettre cette expression empruntée à l’hippologie, les sensations sonores et les visuelles causées par les coups de canon sont « désunies. » C’est précisément cette disparité des vitesses de propagation de la lumière et du son qui a permis jadis de mesurer la vitesse du son, et on n’a pas oublié l’expérience classique dans laquelle les membres du Bureau des Longitudes firent, l’autre siècle, cette détermination, en se divisant en deux groupes placés à Villejuif et à Montlhéry. À chacune des deux stations, on tirait des coups de canon à blanc et les observateurs placés à l’autre déterminaient au chronomètre le temps écoulé entre l’instant où on voyait la lueur de départ du coup (cela se passait la nuit) et celui où on l’entendait. Connaissant la distance exacte de Villejuif à Montlhéry on en déduisait facilement la distance parcourue par le son en une seconde, c’est-à-dire sa vitesse.

Inversement, connaissant le temps qui s’écoule entre l’instant où est vue une explosion quelconque et celui où on l’entend, on en déduit couramment la distance où elle s’est produite. C’est ainsi qu’en temps d’orage chacun de nous peut s’amuser à déterminer la distance qui nous sépare de la décharge électrique dont nous voyons d’abord l’éclair avant d’en entendre le coup de tonnerre. On s’est proposé de même de déterminer la distance des pièces d’artillerie, et les règlemens indiquent comment, connaissant l’instant où on voit la lueur d’un coup de canon et celui où on l’entend, on en déduit sa distance. C’est un moyen très simple et classique de repérer les canons éloignés ; malheureusement, il n’est pas souvent applicable parce qu’on ne voit pas la lueur de la plupart des pièces, celles-ci étant soigneusement défilées en général. On a résolu cette difficulté dans la guerre actuelle par d’autres moyens dont ce n’est pas encore le moment de parler.

Mais, à vrai dire, et pour nous en tenir à la simple détermination des distances par l’intervalle entre la vision et l’audition d’un coup de canon, la méthode réglementaire n’est pas rigoureusement exacte, même avec les coups de canon à blanc, et pour la raison que voici : lorsqu’on tire une charge de poudre dans un canon, le son est produit comme je l’ai expliqué par l’expansion violente des gaz dégagés en