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longtemps, dans la mer de Chine, pendant la guerre, deux petits oiseaux étourdis, deux minuscules petits oiseaux, moindres encore que nos roitelets, étaient arrivés, je ne sais comment, à bord de notre cuirassé... Ils dormirent sans la moindre crainte, comme très sûrs de notre pitié. Ces pauvres petits Belges, endormis côte à côte, m’ont fait penser aux deux oisillons perdus au milieu de la mer de Chine... » Les Allemands, les « sauvages à couenne rose », ont tiré des coups de canon sur Tahiti-la-Délicieuse : « J’avais tout à fait oublié certaine île enchantée qui, très loin, sur l’autre face de la terre, au milieu du grand Océan austral, dresse, dans les nuages attiédis de là-bas, ses montagnes tapissées de fougères et de fleurs... Ce nom de Tahiti me fait l’effet de désigner quelque éden chimérique... « A peine ose-t-il revoir en esprit « la mer bleue bordée de plages toutes blanches de corail, la voûte des palmes, et les Maoris au continuel rêve, le peuple enfant qui ne songe qu’à chanter et à se couronner de fleurs... » Il refuse le souvenir ; et ce n’est qu’un frisson furtif ; ce n’est que du passé qu’il éconduit avec douceur, et un sourire qu’il efface...

Il y aurait d’autres belles et attachantes chroniques de la guerre à signaler. M. André Suarès publie une remarquable série de « Commentaires sur la guerre des Boches. » Quatre volumes ont paru : Nous et eux, la Nation contre la race, C’est la guerre et Occident. M. Suarès, le chroniqueur Caërdal, est assurément l’un des écrivains les plus originaux de l’époque, et de ceux qui n’essayent pas, qui ne désirent pas de joindre leur pensée à celle d’autrui. Son originalité puissante, il s’est plu à la préserver ; même, il s’est amusé jadis à lui donner l’air un peu d’une citadelle revêche où son orgueil était content. Je ne vais pas dire que ses Commentaires sont moins originaux, certes ; mais l’unanimité française, dans la prodigieuse aventure, l’a touché : il s’est plu à sortir de sa forteresse et, en quelque sorte, à fraterniser de bon cœur avec ses compatriotes, à partager leurs colères, leurs confiances, leurs volontés. Il n’a point épargné les Boches, ni leur Nietzsche. Il a bien marqué l’absolue antipathie des races ou des peuples : « Tout ce qui est le charme de la vie et la beauté de l’âme, tout ce qui fait l’homme et l’esprit de finesse, tout ce que la France entend par civilisation, qui est sa vertu la plus exquise, les Allemands l’appellent décadence. Et ils appellent culture tout ce qui fait pour nous leur barbarie. » Il a prouvé que la velléité populaire de la France est bonne ; et il a prouvé que, dans l’épreuve de la France, le plus délicat des artistes et le penseur le plus jaloux de soi aime la certitude nationale. M. Marcel Boulenger intitule ses notes de chagrin Le cœur au loin :