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Et voici un village : peu importe le nom du village ; un village sous le soleil. Passent, vont et viennent des Écossais, des cuirassiers français, des turcos, des zouaves et des Bédouins dont le salut relève le burnous. Passent, dans ce village du Nord de la France, des autobus de Londres. Et l’on entend la canonnade ; mais on s’apprête à déjeuner : « comment s’inquiéter, avec un si beau soleil, un si étonnant soleil d’octobre, el des roses sur les murs, et des dahlias dans les jardins à peine touchés par les gelées blanches ! » On dirait d’une fête, « improvisée aux environs de quelque tour de Babel. « Passent des jeunes filles, des petits enfans blonds qui vous apportent en cadeau les fruits qu’ils ont cueillis dans leur verger. Des religieuses font asseoir des blessés sur des caisses ; une bonne sœur qui a de jolis yeux sous sa cornette s’occupe d’un zouave aux deux bras bandés et le fera manger comme un bambin, puis le fera fumer, lui présentant aux lèvres la cigarette et lai contant on ne sait quelle histoire enfantine, dont ils rient tous les deux. Passent des prisonniers allemands, l’air bestial et sournois » Un vieux curé de chez nous fume sa pipe. Le canon tonne. Au moment où vous partez, une fillette, pour vous fleurir, se dépêche d’arracher dans son jardin une gerbe d’asters d’automne. Voilà, présentement, un village du Nord de la France. Le sensible écrivain qui a couru les cinq parties du monde, en quête de pittoresque et, autant dire, de dépaysement, et qui l’a trouvé dans les îles lointaines, et qui ensuite l’a trouvé au pays natal dont il avait perdu l’ancienne habitude, hésite devant le spectacle nouveau, qui tout d’abord semble une extravagance de l’imagination malade, et qui est la simple réalité, la raison même et l’ordre, la volonté, l’amitié en butte à la barbarie. Est-ce la France ? Plus que jamais ! La France plus française que jamais, il l’a peinte avec un art tremblant d’amour et d’émoi, et avec l’étonnement de la voir ainsi, avec la joie de la reconnaître bientôt sous un tel aspect. Les sentimens qui sont la poésie de toute son œuvre, le sentiment de la vie brève, le sentiment de la mort toujours là, le sentiment de la destruction lente ou brusque, le sentiment de la tendresse que demandent tous êtres et toutes choses proches de périr, le sentiment de l’espace et du temps, de l’absence et de l’oubli, thèmes de tristesse et de bonté, le spectacle nouveau les anime : la haine se joint à eux. Et reparaissent aussi les souvenirs. Dans une forêt, toute en souterrains peuplés de soldats, cavernes, taupinières à demi recouvertes de branches et de feuillages : « A l’île de Pâques, jadis, j’ai vu de telles architectures... » Deux petits enfans belges, des abandonnés, des réfugiés, qu’une bonne femme couche et endort : « Une fois, il y a