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bon gros Bavarois, le tranquille habitant des provinces rhénanes, le Silésien, le Saxon. Eh bien ! ces gens se valent ; et, l’aimable Germanie, a-t-elle existé ? Si elle a existé, l’Allemagne qui la remplace, on l’a vue. Aujourd’hui, ces vérités sont claires. Le resteront-elles ? L’auteur des Débris de la guerre se méfie des sophismes qui obscurciront l’évidence ; il se méfie de la douceur des races qui n’ont pas un vieil usage de la rancune ; et il se méfie de lui-même. Donc, il se gourmande et, lui-même, s’avertit : « Prenons dès aujourd’hui nos résolutions implacables. Disons-nous, dès cette heure, que tout ce qu’on nous dira plus tard sera faux et tenons-nous à ce que nous décidons à présent dans la grande clarté de l’horreur. Il n’est pas vrai qu’il y ait, dans cet immense forfait, des innocens et des coupables ou des degrés dans l’attentat : tous ceux qui y prirent part se trouvent sur le même plan. Il n’y a pas d’Allemands du Nord plus ou moins carnassiers ou d’Allemands du Sud, plus ou moins attendrissans : il y a l’Allemand tout court qui, du Sud au Septentrion, s’est révélé une bête de proie que rejette la volonté de la planète... » Ces lignes sont datées du mois de septembre 1914. Et, à l’épilogue du livre, M. Maeterlinck pose encore le problème de la haine implacable : « Le poids de la haine est le plus lourd que l’homme puisse porter sur cette terre, et nous courberions sous le fardeau. Mais d’autre part nous ne voulons pas être, une fois de plus, les dupes et les victimes de la confiance et de l’amour ! » Ce livre de la guerre est pathétique : dans la mêlée, — car nulle métaphysique n’a élevé, n’a égaré hors de la mêlée ce patriote, — l’auteur de La Sagesse et la Destinée a composé ce livre, ce débat de conscience, cruelle péripétie de sa longue méditation, sereine hier, troublée affreusement ; et, au bout du compte, la solution du problème où est engagé l’avenir de toute pensée, le philosophe la confie aux soldats.

La Hyène enragée, livre de haine encore, est aussi un autre Livre de la pitié et de la mort. Un petit livre qui « s’est fait comme de lui-même, au hasard des choses vues, » au hasard des sentimens éprouvés. L’auteur craint qu’il ne soit trop « pâle : » eh ! la langue française, langue de beauté, « n’avait pas su prévoir les mots dont on pourrait avoir besoin un jour, au XXe siècle, pour désigner certaines abominations et certains monstres ! » Livre de la désolation : M. Pierre Loti, après avoir peint les pays les plus divers, ceux qu’illumine le soleil, ceux que le temps a dévastés, après avoir trouvé des couleurs et des nuances pour les plus divers tableaux de ce monde où il a diverti sa curiosité passionnée, doute de réussir à copier le nouveau spectacle.