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la terre, une fois Caïn exterminé ! » Un autre poème est un air de chasse furieuse. Après la bataille de la Marne, quand la Bête se sauve, le poète sonne son hallali : « Taïaut ! taïaut !... » Pour « affoler la fuite » de la Bête, il lui crie le « taïaut ! taïaut ! » et rêve de le lui crier jusqu’à cette bauge où elle se tapira, — quand ça ? plus tard ! — et sera « fouaillée par la nagaïka des Cosaques, » enfin « servie à la baïonnette par les Turcos, » sous les rires de l’univers. Formidable lyrisme de la haine ; et, moquez-vous ! « je suis un pauvre vendangeur de mots, un vigneron du verbe, soûl du vin qu’il en fait, délirant des chimères qu’il rêve dans cette ivresse, et mettant toute sa gloire à en soûler les autres et à les voir délirer comme lui !... » Mais ce délire est une sagesse, quand toute la claire pensée du livre, et son refrain, comme je disais, le voici : Delenda est ; la formule de Caton, M. Richepin l’a reprise et l’a mise dans le langage d’un grand poète français

M. Maeterlinck, la haine lui est toute neuve, et d’abord le gêne : « Pour la première fois, dans une œuvre qui, jusqu’à ce jour, n’avait maudit personne, on entendra des paroles de haine et de malédiction... » Et il a des scrupules : « porter atteinte au respect et à l’amour que nous devons à tous les hommes, » c’est un acte qu’il n’avait pas envie de commettre. Et il aimait l’Allemagne ; il la croyait grande et généreuse. Il comptait, en Allemagne, des amis, lesquels maintenant, morts ou vivans, sont pour lui dans la tombe. Certains crimes anéantissent le passé, ferment l’avenir ; et « en écartant la haine, j’aurais trahi l’amour ! « La guerre lui apparaît, parmi les malheurs de l’humanité, le plus révoltant, le seul révoltant, « puisqu’il est le seul qui tout entier tienne dans la main des hommes. » L’Allemagne a voulu ce malheur : elle est, pour cela, sans pardon. En face de l’Allemagne, la Belgique : elle a voulu l’honneur. Avec quelle tendresse d’admiration, M. Maeterlinck définit les hautes volontés de sa patrie ! Elle a eu à choisir dans cette alternative : ou bien le désastre matériel, ou bien le désastre moral ; et, sans nulle hésitation, ce qu’elle a choisi, ce fut le martyre. Elle aurait pu invoquer sa faiblesse, l’inutilité de son sacrifice : « On ne vit qu’une chose, la parole don née ; il fallait mourir pour elle, et depuis ce jour-là, nous mourons ! » La haine, afin de ne pas trahir l’amour : à présent, la haine semble facile ; mais plus tard ? Après la victoire, les vaincus lâcheront de nous apitoyer, nous diront que l’Empereur et ses hobereaux les ont dupés, nous rappelleront l’aimable Germanie des tilleuls, des clairs de lune, des vieilles maisons quiètes et de la cordialité hospitalière ; ils nous prieront de ne pas confondre, avec le Prussien si mauvais, le