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de la haine. » Il l’a relu : il en a senti la violence ; il y a senti « le souffle tumultueux de la passion, et que le verbe voudrait s’achever en cri, et que le cri souffre de ne pouvoir s’achever en geste. « Or, il sait que, depuis des milliers d’années, l’humanité est en chemin vers quelque douceur, s’éloigne de la barbarie, et que la haine et la barbarie sont deux sœurs funestes, vieilles et qu’on a crues mourantes. La barbarie avait son repaire en Allemagne : et donc il faut « bouter hors de l’humanité » l’Allemagne. Après cela, plus de haine ; avant cela, toute la haine. Si notre cœur, trop plein, dit Shakspeare, « du lait de l’humaine tendresse, » méconnaissait aujourd’hui son devoir de haine, la barbarie s’éterniserait, la haine aurait besoin de durer jusqu’à la fin du monde. Alors, vive la haine, pour que survive la tendresse humaine ! Les chants de haine de M. Richepin, sous le nom de Proses de guêtre, ce sont des poèmes d’un rythme impétueux, scandés fortement, et sans rime, non sans mesure : on leur battrait la mesure. Non sans refrains : les détours des phrases ramènent habilement les mots les plus marqués, les plus imagés ; puis les phrases repartent pour de nouvelles aventures d’idées, d’images et de mots. Étonnantes combinaisons verbales, d’une ingéniosité souveraine et d’une adresse qui n’arrête pas la prodigalité inventive. Aucune recherche : mais la trouvaille, et perpétuelle. C’est drôle, c’est bizarre, c’est amusant ; — prouesses de vocabulaire et de syntaxe, mais le vocabulaire le plus franc, populaire et savant, d’une opulence et d’une variété extraordinaires, toujours exact ; et la syntaxe qui se joue, mais avec une sûreté parfaite ; — c’est amusant, terrible aussi de colère !... « S’il est possible qu’il fleurisse encore quelque part, dans l’âme française, une dernière fleur de pitié pour ces brutes, il faut l’en extirper comme une fleur de poison, et en faire de la cendre et du fumier, et planter à même ce terreau immonde, la fleur que nous ne connaissions point, la fleur que nous devons cultiver désormais, la sainte fleur de la haine... « Ainsi prélude l’un des poèmes ; puis il déroule son thème et, de tous les argumens de la haine, compose des strophes ; et, comme une ballade bien menée, aboutit à cet envoi : « âme française, âme gaie, généreuse, noble, âme de ce pays souriant que nos vieux poètes appelaient déjà, il y a mille ans, la douce France, l’heure est venue de ne plus être par trop la douce France et de laisser fleurir en toi la fleur de la haine, de la haine implacable, sans rémission, sans exception, justicière et vengeresse, de la haine qui va enfin devenir par toi la belle haine, la sainte haine, la haine ayant pour épanouissement suprême l’amour entre tous les enfans de