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beaucoup de misère matérielle et morale, et décida d’y remédier dans la mesure de ses forces, plutôt sans consulter ses forces, mais son cœur seulement. Il a créé les œuvres qui s’appellent : Pour les femmes, Assistance mutuelle des veuves de la guerre, Assistance aux dépôts d’éclopés ; il a sans relâche administré l’Hôpital de l’Institut. Et il raconte tout cela, dans son livre A l’arrière, avec la simple modestie d’un homme qui songe à ce qu’il fait, non point à lui, à l’efficacité de son entreprise, non point à l’entrepreneur : mais je crois qu’il est plus fier de ses œuvres de guerre que de sa grande épopée napoléonienne.

Tout au long de son livre, il organise la bienfaisance ; il n’a pas de loisir ; il n’a pas de repos ; et, les flâneurs, il les rudoie ; les rêveurs, il les met en présence de la réalité, qui est exigeante. Il ne dit jamais que tout va bien ; mais il prétend que tout aille mieux. Il tarabuste le prochain : c’est qu’il s’agit des humbles, dont il a pitié. Le caractère de son livre, c’est la pitié ; c’est une émotion qu’il contient de façon qu’elle ne l’empêche pas d’accomplir son projet, une émotion qu’il ne réussit pas toujours à dissimuler et qui éclate quand il invoque ainsi la bonne volonté des femmes attristées : « En attendant qu’on vous appelle, mes sœurs, mes filles, voulez-vous écouter un homme qui n’a pas le bonheur de croire, mais qui sent en ce moment l’impérieuse, l’inéluctable voix des ancêtres ? Mes sœurs, allez dans vos églises et dans vos temples ; priez ! Qu’une continuelle prière, qu’un chœur de vos voix concertées s’élève vers le Dieu auquel vous croyez !... » Et, un soir de brumaire, à la veillée de la fête des morts, il s’abandonne au chagrin de la France ; il entend la plainte des hommes et des femmes, une plainte continue, qui parfois s’élève, et parfois s’abaisse, et que des sanglots ponctuent, puis un chant, le chant de la victoire prochaine et de la délivrance. Mais, le lendemain, il est à son poste de combat, contre l’indigence et la mélancolie. Son livre enseigne comment on se console en consolant, comment on se sauve de soi, comment le bien qu’on fait vous récompense : la charité n’est pas ingrate.

Les Proses de guerre, de M. Jean Richepin, sont d’une autre sorte. Non certes que la compassion n’y intervienne, la fraternité la meilleure et le désir d’alléger le fardeau de calamité. Mais premièrement, l’auteur de ces Proses de guerre se propose de tendre les énergies, de les dresser plus fortes, plus résistantes et de leur donner ce solide ressort, la haine. De la leur donner ? De l’exalter en elles : « la haine implacable, dont il faut nourrir sans trêve son vouloir tenace, entier, absolu, jusqu’au bout et à n’importe quel prix. » Il a écrit un « évangile