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gardent leur manière, n’empruntent pas un instrument littéraire dont ils n’eussent pas l’usage et emploient le talent qu’ils avaient, suffisamment souple et riche. L’historien de Napoléon, le poète des Gueux, le philosophe de la Destinée, le peintre des pays étranges et de la belle Tahiti, nous les retrouvons, dans leurs chroniques de guerre, tels qu’ils nous ont enchantés : le bouleversement, qui a excité leur passion, leur verve ou leur génie, n’empêche pas que les voici tout prêts à servir, selon leurs velléités.

M. Frédéric Masson a recueilli ses chroniques de charité. Ce ne sont pas les seules qu’il ait écrites depuis deux ans. Les autres, il annonce le projet de les recueillir un jour : les autres, celles qui ont eu « l’heur de déplaire, » dit-il. Et il n’est point fâché, on le voit, de ce qu’elles déplaisent, à qui ? — à cette « faction » de gens que la guerre a férus d’un vif amour, et très subit, pour « la philosophie, la littérature, la culture, la musique allemandes : » ces gens, il ne les a point ménagés, mais il les a secoués et il n’a pas fini de les traiter, le mieux du monde, comme les amis de nos ennemis. On l’insulte : « Tant mieux, c’est que j’ai touché ! » Une prétendue impartialité, au profit des Boches, lui semble une gageure, et de mauvais aloi. Cette perversité l’impatiente. Il se fâche ; et il se fâche bien : sa colère a un bel accent. Nous aurons le livre de la colère : en attendant, nous avons le livre de la bonté. Dès le premier jour de la guerre, M. Frédéric Masson s’écriait : « Et les vieux ? » Il voyait toute la France mobilisée, toute la jeunesse à la besogne : il demandait pour les vieux, comme il dit, de l’ouvrage. Les vieux ? Qu’ils demeurent dans leur retraite : on leur enverra les nouvelles... Jamais de la vie ! Qu’on les emploie : ils ne sont pas si vieux ! Qu’on les emploie à compter les cartouches, les souliers, les couvertures, à distribuer les pantalons, à coudre les boutons, « n’importe quoi, pourvu qu’ils croient faire quelque chose ! » Le croire : M. Masson s’en fût-il contenté ? Mais il affirmait que, si le travail des vieux n’était pas indispensable, leur présence du moins serait bonne, afin qu’on sût, dehors et au dedans, « que toute la nation était debout, des vieillards aux enfans, qu’elle était résolue et qu’elle était prête. » Il insiste bientôt : pour conduire les automobiles, pour les bureaux, les vestiaires, pour battre les habits, les plier, les ranger, pour éplucher les légumes, pour faire la cuisine ou bien y aider, les vieux sont là ; — « oh ! n’écartons personne ! » — Il n’est pas toujours facile de trouver de l’ouvrage, et si l’on rechigne à quémander même l’occasion d’un dévouement. M. Masson ne dérangea personne. Il regarda autour de lui et vit