Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/692

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autre refuge et qui ont celui-là. Piété si naturelle et spontanée, si coutumière aussitôt, qu’elle ne gêne pas l’esprit, ne le guindé pas. Les Grandes heures ne sont jamais moroses, ne sont jamais accablées : tragiques, oui ; et puis sereines, délicatement pures et déjà toutes prêtes à devenir radieuses.

« La guerre s’impose à tous et partout… » C’est elle encore qui est le thème de ces charmans ouvrages que M. Lavedan a intitulés Dialogues de guerre et qui sont, après la fervente méditation des Grandes heures, un divertissement, mais toujours dominé par la pensée de la guerre, inévitable pensée et qu’on n’essaye pas d’éluder. Les personnages sont, une fois, des soldats blessés, zouaves, chasseurs à pied, lignards et un artilleur. Ils se promènent et, aux Invalides, sont venus voir des canons, des drapeaux. L’un des soldats est aveugle et, plus que tous les autres, curieux : il veut voir, lui, l’aveugle. Et, pour lui, voir, c’est, à présent, toucher, de ses mains qui ont acquis une subtile délicatesse ; toucher, et puis entendre ce qu’on a l’obligeance de lui conter : il voit de ses mains, et il voit de son imagination secourue par ses souvenirs. Un canon de 75, il le palpe, le caresse, le sent tiède. Et c’est le soleil qui a chauffé le métal. Puis, un drapeau pris aux Boches, l’aveugle ne le touche pas, à cause d’une vitre qui est dessus. Mais il s’approche ; il pose ses mains sur la vitre : « Raconte ; fais-moi voir… » On lui raconte le drapeau ; il le voit, en quelque sorte, et il est content. Les personnages des autres dialogues sont aussi des gens de l’arrière, de toute condition, de tout métier, non de toute opinion : car il n’y a qu’une opinion, qui naît de la commune souffrance et de l’attente pareille. L’auteur a inventé les incidens ; et il les a voulus petits, dans la formidable aventure, afin qu’on sentit comme la douleur est méticuleuse, afin qu’on sentit comme les résumés de l’histoire sont incomplets et grêles auprès de la douleur illimitée, infinie. L’auteur a inventé ses personnages ; ou plutôt il les a empruntés à la vie quotidienne ; et il les a tous inclinés vers de nouveaux sentimens, ceux que la guerre a le plus animés, tristesse et courage, résignation, pitié, dans le chagrin même une élégance d’énergie. Il leur a donné un langage simple et joli ; et il leur a donné cette naïveté, leur vérité : les grands malheurs découvrent les âmes, ne leur laissent nul déguisement. C’est ainsi que la guerre a changé les âmes. Et c’est ce que montre l’auteur des Dialogues, qui sont une chronique des âmes pendant la guerre : chronique merveilleuse de fine et douce et tendre intelligence.

Il y a plaisir à constater que nos écrivains, dans leur tâche imprévue,