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poètes, amateurs des idées et des mots, sont devenus chroniqueurs de la guerre. Ce n’est pas, eux, l’histoire de la guerre qu’ils écrivent ; mais, au jour le jour, l’histoire de la tribulation française, et de la patience française : patience à laquelle ils ont aidé. Un Albert de Mun, durant les plus terribles semaines de la première année, a soutenu les espérances inquiètes avec une admirable générosité de son cœur à la torture et qui, dans la torture même, gardait sa charité vaillante ; lorsqu’il est mort, des milliers de Français redoutèrent leur désarroi. J’ai signalé son œuvre de guerre ici, l’an passé ; l’œuvre de guerre aussi de M. Barrès, qui continue son bel apostolat. L’Union sacrée était le premier tome de l’Ame française et la guerre : à l’Union sacrée s’ajoutent maintenant les Saints de la France, la Croix de guerre et l’Amitié des tranchées ; livres tout palpitans d’émoi, tout chauds de passion, tout clairs d’intelligence et de splendeur poétique, beaux livres et qu’on aime.

M. Henri Lavedan, s’il est l’auteur du Vieux Marcheur et du Nouveau jeu, — n’oublions pas Servir. Ce drame, si fort, si rude, ne datait pas de longtemps, lorsque la guerre a éclaté. Il contenait déjà le pressentiment de la guerre, à une époque où beaucoup de hâbleurs annonçaient que la guerre était une calamité d’un autre âge, abolie désormais, et où la quantité des imprudens se fiait à la menteuse promesse. Il y avait, dans Servir, un avertissement et, mieux qu’un avertissement, un conseil et, mieux encore, une indication du devoir, une préparation du caractère, un éveil de l’esprit. L’auteur du Vieux Marcheur et an Nouveau jeu, l’auteur de Servir, aujourd’hui l’auteur des Grandes heures, ce n’est pas un converti : dans le ratissant badinage de ses anciennes comédies, on a remarqué, dès autrefois, l’accent d’un moraliste, surtout sévère à ce qui endommage l’âme de notre pays. Patriote souvent alarmé : s’il ne prend pas le ton du prophète en courroux, c’est qu’il a le goût de procéder à la française ; mais il châtie bien. La qualité française de tous ses ouvrages leur donne un prix délicieux. Comment définir cette qualité ? On la sent aux pensées, qui sont bien de chez nous, qui sont de l’auteur et aussi du terroir ; on la sent aux phrases, à leur son, à leur ton, à leur sourire ; on la sent à ce que les phrases disent, et à ce qu’elles n’ont pas besoin de dire : car on s’entend à demi-mot, si l’on est pays, si l’on a vécu ensemble depuis quelques centaines d’années, subi les mêmes péripéties de gloire, de malheur et de gaieté. La guerre n’a pas surpris M. Henri Lavedan, elle ne l’a pas effrayé, elle ne l’a pas consterné : elle a exalté son attente. Les premières pages de sa chronique