Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cas médical se rattachait à l’une des vingt catégories [1] de maladies et d’infirmités prévues par l’arrangement international étaient dirigés sur Constance, où une dernière visite les attendait, effectuée par des médecins allemands, en la présence de médecins suisses.

L’arrêt définitif était alors prononcé : une partie des prisonniers retournaient dans leurs camps respectifs.

— On était terriblement tarabustés à Constance, racontent les soldats. On se faisait un souci de cette visite !...

Pendant le long voyage qu’ils venaient d’accomplir à travers l’Allemagne, deux jours, trois jours quelquefois, ils tremblèrent. Quelques-uns, ne se croyant pas assez malades, se désolaient. Et tous revoient continuellement le groupe douloureux des camarades qui repartaient après avoir touché à leur délivrance.

— Ça nous coupait la joie d’aller en Suisse...

— Ils avaient l’air bien malheureux ?

Le soldat eut ce mot :

— On apprend à cacher sa peine...

L’après-midi du jour où ils ont passé la visite, les soldats désignés sont amenés en gare de Constance et remis aux officiers suisses. Mais ils ne sont pas encore tranquillisés. Ce n’est qu’à la fin de cette longue journée, au moment où le convoi s’ébranle, qu’ils respirent. Ils regardent les soldats allemands rangés sur le quai. Quel silence !... Le train accélère sa marche. On est bien parti. Enfin !

Tout à coup ils entendent un grand cri. Ils n’en croient pas leurs oreilles. Ils se penchent aux portières. Ils n’en croient pas leurs yeux : des gens sont là, au bord de la voie, des hommes, des femmes, des enfans. Et ce sont eux qui ont crié : « Vive la France ! » Ecoutez ! Ils crient plus fort : « Vive la France ! » Et ils agitent des drapeaux tricolores.

— Où donc sommes-nous ? Mais nous venons de quitter Constance ! Les Allemands deviennent-ils fous ?

Et l’ovation continue. Le nom de leur patrie monte à eux clamé par toutes ces voix. Des fleurs pleuvent dans le wagon.

  1. De ces vingt catégories sont exclues les maladies transmissibles, à l’exception de la tuberculose. Les tuberculeux sont réunis à Leysin et à Montana, dans des sanatoria, et soumis au traitement spécial que nécessite leur état. Plusieurs, aujourd’hui guéris, ont été envoyés dans d’autres stations.