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encore ce paquet, ces fleurs, ces fruits. Eux, souriant et pleurant à la fois, montraient leurs mains pleines, leurs musettes gonflées.

— Oh ! vous trouverez bien une petite place !

On apporta dans le train une corbeille remplie de rouleaux de chocolat et de paquets de cigarettes qu’ils avaient dû laisser sur les tables de l’hôtel. Déjà ils avaient demandé au major de Reynier, dirigeant la région de Leysin, s’ils auraient la permission d’envoyer une partie de leurs cadeaux aux camarades restés en Allemagne...

Pendant toute la traversée du bourg, les fleurs et les oranges n’ont cessé de pleuvoir par les portières. Le cri de : « Vive la France ! » nous a suivis comme une seule grande voix ininterrompue.

Les soldats disaient :

— On garde tout ça dans son cœur...

Cependant, sur le ciel qui s’éclairait, les hautes cimes se profilaient aiguës et roses. Au milieu des champs de neige, le village de Leysin apparut. Dans ce paysage qui semblait en cristal bleu, on vit se détacher les chalets, le clocher, les hôtels.

Un soldat put seulement prononcer :

— Regardez !

Du haut en bas des façades voltigeaient les points vifs des drapeaux, les points blancs des mouchoirs. On entendait une fanfare encore lointaine.

— C’est l’hymne suisse, dit un soldat. Il faut saluer...

A cet instant, le soleil invisible et déjà haut dépassa l’arête d’un sommet. Les champs de neige d’un seul coup s’illuminèrent. Et la neige semblait ardente. Ce fut un brusque éblouissement, l’incomparable fête que le soleil dispense à la haute montagne, chaque matin d’hiver.

Dans le wagon, personne ne parlait plus. On n’entendait que des sanglots étouffés.

Les semaines suivantes, d’autres convois arrivèrent à Leysin, à Montana, à Montreux et dans l’Oberland. Puis ils cessèrent. Pendant les mois de mars et d’avril, une commission de médecins suisses parcourut l’Allemagne, afin d’examiner les prisonniers malades dont l’internement pouvait être proposé : tous les prisonniers avaient droit à cette visite. Et ceux dont le