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permis de prévoir que les Etats balkaniques joindraient leurs forces à celles des Alliés et qu’une stratégie décisive ouvrirait les routes de Vienne sur tout le pourtour de la plaine danubienne.

La bataille de l’Isonzo s’est donc poursuivie, et on peut dire qu’elle a absorbé la plus grande partie des forces italiennes mobilisées. L’attitude défensive prise par les Autrichiens sur l’ensemble du théâtre d’opérations, l’occupation de tous les débouchés du Trentin, du Cadore et de Garnie, autorisaient l’Etat-major italien à persévérer sur l’Isonzo. Mais l’hiver arriva sans que des résultats décisifs eussent été obtenus. Gorizia tenait toujours ; la ville n’a été enlevée qu’après quatorze mois de combats épiques. On en trouve l’explication toute naturelle dans la force des positions attaquées. Le Carso a été le point d’arrêt ; et même aujourd’hui, après que le passage de Gorizia a été forcé, le Carso forme encore l’obstacle sur la route de Trieste. Il importe donc de savoir ce qu’est le Carso.

Le plateau du Carso (Karst en allemand) est une célébrité géologique. « Le Karst, écrit Elisée Reclus, est un plateau unique en Europe par son chaos de pierres, par les inégalités bizarres de ses roches tendues. Çà et là se dressent des murs, des obélisques inégaux, des entassemens de blocs. C’est un entassement de ruines dans un effroyable désordre... Des gouffres s’ouvrent de toutes parts dans le désert pierreux et même sur les pentes des collines. Ces gouffres sont de toutes les formes et ont toutes les dimensions... Les Frioulans les désignent sous le nom d’inglutidore. Les eaux des pluies descendent dans les gouffres, s’amassent en mares temporaires, ou disparaissent par les fentes de la roche dans des cavernes souterraines... Les géologues attribuent les gouffres et fissures à d’immenses éruptions d’eaux minérales ayant désagrégé le calcaire. » Sur ce plateau à peu près désert, où quelques villages et cultures se dissimulent dans les creux profonds des anciens gouffres, un vent terrible règne en permanence, la Bora du Nord-Est. Il a une violence telle qu’il arrête parfois les trains et rend périlleuse la navigation de l’Adriatique au voisinage de la côte. Le plateau est dénudé, et le reboisement y est presque impossible. On comprend le parti que la défense autrichienne a tiré de ce plateau déjà hérissé de difficultés naturelles.

Les Italiens ont attaqué le Carso par le revers Sud-Ouest