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et de la tactique classiques ont pu pousser le paradoxe jusqu’à faire abstraction du terrain et à n’y considérer que les routes et les cours d’eau, les mouvemens des troupes devant se dérouler comme en rase campagne. Dans les régions montagneuses et montueuses, le terrain devient un obstacle terrible aux opérations ; il les gêne ou il les favorise, mais il reste prépondérant. Et cependant, il faut reconnaître que les conditions de la guerre de montagne se sont, elles aussi, modifiées. Les progrès de la locomotion ont permis d’y amener des effectifs considérables, de les approvisionner, et surtout de faire entrer en ligne du matériel d’artillerie lourde auquel les fortes pentes paraissaient interdites.

La guerre de montagne n’en a pas moins conservé son caractère spécial qu’il est opportun de rappeler pour comprendre les lenteurs et les difficultés de l’action italienne. Tout d’abord, une grande partie des régions montagneuses est inaccessible en toutes saisons : les opérations se concentrent dans les vallées et sur certains points topographiques élevés qui dominent les vallées et les cols. La possession des cols est le but tactique, le débouché dans les grandes vallées larges et basses, où se rencontrent les routes et les cultures, est le but stratégique ; les deux se confondent constamment dans le développement des combats, et les combats restent le plus souvent localisés par vallées et par cols jusqu’au moment où la liaison des colonnes peut se faire dans ces sillons longitudinaux que nous indiquons plus haut, ou dans les plaines bordières de la montagne. Les colonnes restent par conséquent isolées pendant une durée plus ou moins longue, des détachemens alpins peuvent seuls les relier aux hautes altitudes.

Comme nous l’avons dit, l’obstacle naturel peut être puissamment renforcé par la fortification permanente ou temporaire, et il est extrêmement facile de barrer les routes. Les anciens traités d’art militaire attribuaient donc aux opérations de la guerre de montagne un caractère de lenteur, qui contrastait avec la rapidité de la guerre de mouvemens en rase campagne. Or, nous voyons aujourd’hui que la guerre en plaine s’attarde autant aux obstacles des tranchées, des fils de fer et des barrages d’explosifs, que la guerre de montagne aux obstacles du sol. Et Ton ne peut reprocher aux Italiens d’avoir si peu avancé dans les Alpes, quand on songe à l’immobilisation