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saurions pouvoir résister, en pleine campagne, à l’assaut d’un ennemi qui a la possibilité de concentrer rapidement ses armées par les cols aisés des Alpes Juliennes, et d’utiliser les hauts plateaux de la rive gauche de l’Isonzo pour dissimuler ses mouvemens et épier les nôtres.

« Pour assurer la défense de l’Isonzo, il nous faut la possession des Alpes Juliennes, et il nous faut l’Istrie...

« L’importance de l’Istrie et des iles est encore plus grande au point de vue de la défense maritime du royaume. Sur tout le littoral de l’Adriatique nous n’avons comme ports militaires que Venise, Ancona et Brindisi, et aucun d’eux ne répond complètement aux exigences d’un grand port maritime. C’est de Tarente, base lointaine avec laquelle il est impossible de se tenir en rapport étroit, que notre flotte doit se mettre en route pour ses évolutions, tandis que l’Autriche a, à Pola et à Cattaro, des bases d’opérations formidables et qu’elle trouve des abris sûrs et faciles dans les ports assez vastes et les innombrables mouillages que lui offrent les côtes continentales et insulaires de l’Istrie, de la Croatie et la Dalmatie. »

Ces considérations sur la frontière austro-italienne nous ont paru indispensables pour établir la situation militaire. Elles indiquent pourquoi l’Italie fait la guerre et comment elle a dû conduire ses opérations. N’oublions pas que l’Italie est entrée dans la lutte de sa propre initiative, librement, quand elle s’est jugée prête à réaliser ses aspirations et à concourir en même temps à la grande cause qu’elle a estimée digne de son effort et de ses sacrifices. Mais elle a dû opérer seule sur son front, et, si les Alliés pouvaient l’aider dans une certaine mesure matériellement en lui fournissant des canons et des munitions, elle n’avait à attendre aucun secours d’armée. Le plan du haut commandement italien porte la marque de cette double préoccupation : prudence et économie dans l’emploi des forces mobilisées [1], hardiesse et ténacité dans l’offensive sur la frontière.

  1. L’armée italienne a mis en ligne les douze corps d’armée du temps de paix et des divisions de Milice mobile. Elle a dû mobiliser plus de deux millions d’hommes. Elle dispose encore de réserves considérables, puisque la population peut fournir quatre millions d’hommes. Les services de l’armée sont admirablement organisés. Des témoins autorisés revenant du front italien nous ont exprimé la surprise qu’ils ont éprouvée en constatant avec quelle régularité et quel luxe fonctionne ce que nous appelons l’Arrière. Les camions automobiles apportent les ravitaillemens de toute nature aux troupes, quelles que soient les altitudes et les difficultés. Et on saura plus tard que c’est grâce à l’arrière que la retraite du Trentin a pu être enrayée rapidement.