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explique toute la politique et toute la stratégie italiennes ; l’irrédentisme se confond sur bien des points avec la défense même du pays, et les exigences de celle-ci doivent souvent dépasser les trop justes limites du territoire revendiqué.

Suivons cette frontière qui a été déterminée après la guerre de l’unité, en 1859 et en 1866. L’Autriche, vaincue, forcée d’abandonner ces riches contrées de la Lombardie et de la Vénétie, sur lesquelles sa tyrannie s’était appesantie si longtemps, a reculé sur les crêtes prochaines des Alpes, mais pas au delà ; et elle a pu imposer au jeune royaume une délimitation aussi peu conforme aux limites naturelles qu’elle était favorable à des retours offensifs contre l’Italie. L’Autriche conservait le Trentin, qui est de langue italienne au moins jusqu’à Bolzen, une partie du Frioul avec l’Isonzo, et l’Istrie avec Trieste. Elle détenait à peu près partout les cols importans et les hautes vallées. Il est facile de voir qu’une offensive autrichienne, partant du Trentin ou du Frioul, n’avait qu’à descendre de courts défilés pour arriver dans les plaines lombardes et vénitiennes. Une offensive italienne, au contraire, est obligée de traverser toute la région des Alpes avant d’atteindre les objectifs stratégiques essentiels : Vienne et le Danube. On s’explique que la politique italienne ait revendiqué la régularisation de cette frontière au point de vue militaire autant que national, et que l’Autriche se soit refusée toujours à faire la moindre concession. L’entrée de l’Italie dans la Triple-Alliance ne lui a apporté aucun bénéfice à ce point de vue, et les Italiens sont trop fins pour ne pas s’être aperçus que la rouerie de Bismarck les avait dupés, et que la Triple-Alliance n’était qu’un moyen d’attacher l’Autriche et l’Italie à l’Allemagne en les tenant l’une par l’autre.

Quant à déterminer. les véritables frontières, c’est une autre affaire Et la topographie des Alpes ne s’y prête pas facilement. Si l’on reconnaît assez bien que le Trentin, le Frioul et l’Istrie sont des territoires italiens, il serait difficile d’admettre que le Tyrol, la Carinthie, la Carniole ne soient pas des pays germa- niques ou germanisés. Entre les deux zones, où est la limite ? Il semble bien que le grand sillon longitudinal [1] du Pusterthal,

  1. Quand on regarde de près une carte des Alpes, il est facile de distinguer que les Alpes sont divisées en massifs très circonscrits par des vallées, tantôt parallèles à la crête principale (sillons longitudinaux), tantôt perpendiculaires (coupures transversales).