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L’heure n’a pas sonné où il sera permis sans imprudence, sans risquer d’affaiblir l’étroite union de tous nos combattans, de remuer les problèmes que demain aura pour tâche de résoudre. On ne se trompe pas cependant en pensant que le souci unanime, à cette heure-là, de tous les bons Français, sera, pour parler comme Péguy, « que la France se refasse et se refasse de toutes ses forces. » Tant de sang pur versé, tant de fécondes existences brisées ne l’auront pas été en vain. Si l’union s’est établie si rapide et si forte entre tous les Français, c’est que, sous des formes diverses, ils poursuivaient l’idéal dont des siècles de civilisation commune leur apprirent à rêver la conquête. Catholiques, révolutionnaires, ils étaient, pour reprendre une idée et une formule chères à Péguy, les dévots d’une mystique. Armés les uns contre les autres, l’agresseur barbare leur dessilla les yeux : ils se rapprochèrent pour combattre et repousser l’ennemi de leur idéal.

La victoire qu’ils devront à leur union pourrait-elle avoir pour premier résultat d’en faire à nouveau des ennemis ? Ce serait pis qu’un non-sens ; ce serait un sacrilège contre lequel crierait le sang de nos morts.

Écoutons-les.

Ils commandent le respect de toutes les croyances, le souci de toutes les misères, l’exaltation d’une France forte et grande par l’union de ses enfans réconciliés.

Quelle voix aurait plus de titres à être entendue et obéie que celle de Charles Péguy, de l’apôtre de la Cité socialiste, du poète de Jeanne d’Arc, de l’écrivain, du penseur tombé sur le champ de bataille, dans une juste guerre, pour le triomphe de l’Idéal français ?

A. Millerand.