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simple et bon que fut ce grand lutteur, de dire que Péguy trouva dans la douceur et le calme de la vie familiale, la plus unie et la plus heureuse, la force indispensable pour supporter les amertumes et les déceptions de la vie publique.

Ce n’est pas par métaphore qu’il cultivait son jardin et c’est en jouant à la balle avec ses enfans, quand il n’avait pas pour partenaire le gros chien familier, qu’il se délassait de ses travaux.

La guerre l’arracha à ses foyers.

Un de ses camarades a raconté les étapes suivies du jour de la mobilisation au 5 septembre 1914 par le lieutenant Péguy et sa compagnie, la 19e du 276e régiment d’infanterie[1]. Quelques lettres écrites aux siens et publiées à la suite de ce simple et impressionnant récit jalonnent la route. Péguy s’y montre au naturel : courageux, aimant, uniquement préoccupé du devoir à remplir.

Il tombe, face à l’ennemi, en entraînant sa section contre l’Allemagne, qu’avant de mourir il eut la joie suprême de voir reculer.

Il repose dans la grande plaine, sous une petite croix de bois où sont inscrits ces seuls mots : « Charles Péguy ; » sa tombe est pressée au milieu des tombes des officiers, sous-officiers et soldats tombés en même temps que lui.

Il repose comme il vécut : côte à côte avec ses camarades de combat qu’il excitait de ses exhortations et de son exemple.

Il a disparu. Son œuvre demeure, plus vivante, plus puissante qu’elle ne fut jamais.

Les morts mènent les vivans. Nous avons besoin de nous le redire pour adoucir notre douleur et nos regrets. Péguy avait tant de projets en tête ! Que de pages en ses Cahiers portent l’indication, l’esquisse d’autres cahiers qu’il veut écrire plus tard ! Ils ne seront jamais écrits.

En l’arrachant aux luttes quotidiennes qui épuisent et amoindrissent même les plus nobles combattans, sa mort, cette mort si digne de sa vie, si harmonieuse et si belle, sacre Péguy et lui confère une autorité dont, par delà le tombeau, il servira encore ses idées et son pays.

  1. Victor Boudon : Avec Charles Péguy, de la Lorraine à la Marne, août-septembre 1914. Préface de M. Maurice Barrès, 1 vol. in-16 (Hachette).