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d’amertume et de colère pour que les grands chefs, les bosses, accordent à son indiscipline ce que les progressistes réclament : l’apothéose de la rébellion.

Toutefois, pour écarter Roosevelt, le Grand Vieux Parti doit trouver un homme. Les favorite sons, Weeks, Burton et autres, ne comptent guère. Calme, froid, éloquent, organisateur de premier ordre et juriste de premier rang, ancien ministre de la Guerre du président Mac Kinley, ancien secrétaire d’État du président Roosevelt, l’avocat new-yorkais Elihu Root serait, à la magistrature suprême, en dépit de ses soixante-dix ans bien sonnés, la vivante et ferme expression du droit : les Alliés, qui savent la force de ses sympathies, l’Amérique latine, dont, en 1906, il sut, par la largeur de son esprit, gagner l’ombrageuse confiance, verraient dans son élection le gage d’une grande et haute politique, fondée sur la justice internationale. Mais sa réputation extérieure dépasse sa popularité dans les limites de l’Union. Des relations anciennes, d’avocat d’affaires, avec les trusts, ont, depuis longtemps, tourné contre lui le préjugé populaire. L’échec, l’été passé, de son projet de constitution de l’État de New-York a récemment affaibli sa situation locale. Enfin, à Chicago, son nom évoque trop vite le souvenir de la convention de 1912, au cours de laquelle il eut, comme président, à valider, au profit de Taft, un certain nombre de mandats contestés. Sa part dans les querelles intimes du parti fut trop grande pour qu’entre les progressistes et les républicains, la conciliation, sur son nom, s’opère.

Meilleure est la situation de M. Charles Evans Hughes. Ancien gouverneur de l’État de New-York, appelé par le président Taft, en 1910, à siéger parmi les neuf membres de la Cour suprême des États-Unis, que son rôle constitutionnel d’arbitre politique des États et des pouvoirs place au-dessus des partis, il était, avant 1912, heureusement sorti des agitations troublées de la politique, pour entrer dans la région sereine, impartiale, et surtout peu compromettante, de l’impassibilité judiciaire. Par la vigueur avec laquelle, en 1908, il a secondé la campagne du président Taft contre la candidature démocrate de William Jennings Bryan, il a donné la mesure de sa valeur comme orateur de combat et tacticien d’élection. Surtout, par la manière dont, depuis six mois, il garde, sur sa candidature, mise en avant par quelques admirateurs, qu’il n’approuve ni ne désapprouve,