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d’une démocratie fidèle au respect du droit des peuples ? Les Etats-Unis sont neutres. Mais cependant la guerre les invite, et, peu à peu, les attire. Et, tandis qu’elle les sollicite, ils s’en effrayent d’autant plus que, mosaïque de races non encore fondues, ils sentent que leur cohésion n’est pas ferme, que leur unité nationale est imparfaitement cimentée, la pleine assimilation de l’immigrant, parfois plus fidèle à sa race qu’à l’idéal auquel il a, par serment, au jour de sa naturalisation, donné sa foi, non encore atteinte. Ce n’est pas seulement dans le monde, c’est en Amérique même que l’idéal américain est menacé ; ce n’est pas seulement dans son prestige extérieur, mais dans sa paix intérieure, que l’Amérique se sent touchée.

Pour faire face à la crise, elle ne peut compter sur son Congrès, dont une Chambre seule, le Sénat, représentant des Etats particuliers, participe à la direction de la politique extérieure, mais sur son président, dont les pouvoirs, plus étendus que ceux des Chambres, suivant le mot de John Quincy Adams, plus grands que ceux d’un roi, suivant la juste réflexion du secrétaire d’Etat Seward, sont tels que, du propre aveu du président Hayes, ils lui mettent, totalement, la nation dans la main. La Constitution américaine, dans toutes les grandes crises de l’Union, permet aux hommes qui ont le génie nécessaire de le déployer librement. Mais elle exige, en pareil cas, de tels hommes. En 1860, en 1864, aux grands jours où naquit le parti républicain, deux conventions, à l’étroit dans le vieux bâtiment, spécialement construit pour la circonstance, actuellement oublié, du Wigwam, trouvent à Chicago l’homme, qui, dans la circonstance critique de la Sécession, devait sauver l’Union. Celle qui demain va s’ouvrir au Colisée trouvera-t-elle un nouveau Lincoln ?

Tandis que la pensée de Lincoln, tout autant que la nouvelle de la mort de Kitchener, évoque ainsi la crise, internationale et nationale, où la guerre européenne vient, en dépit de toutes les doctrines de Monroe, de précipiter les États-Unis, Chicago impose un autre souvenir aux délégués ici présens. Car c’est à Chicago qu’en 1912, en deux conventions, l’une républicaine, de juin, l’autre, progressiste, d’août, le parti républicain, jusqu’alors victorieusement uni contre les démocrates, s’est affaibli par la scission, au point de permettre à ses adversaires, malgré leur minorité, la victoire. Le président sortant,