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l’autre de ses gares, où trente-trois lignes aboutissent, les échanges de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud ; activité, enfin, jusque dans la rapidité de la marche, le nombre et le mouvement de ses habitans, justifiant si bien ce mot légendaire de l’un d’eux : « J’ai deux fils : l’un réside à Philadelphie, l’autre vit à Chicago. »

Voici le quartier des affaires, le Loop, qu’un chemin de fer aérien entoure d’une ceinture d’acier ; puis les rues qui cherchent le Lac ; enfin, la grande chaussée, dont les maisons Inégalement géantes suivent, à perte de vue, sa rive plate et droite. Plus que jamais, en ce moment, Chicago s’anime. Sous les drapeaux et les bannières, qui, du haut en bas, décorent les gratte-ciel, sous les banderoles qui traversent les rues, la. ville s’emplit de rumeur et s’encombre de mouvement. Mais c’est une rumeur de circonstance, un mouvement d’exception. Chicago, ville-carrefour, est en ce moment le lieu de rencontre, opportunément choisi pour un grand acte auquel toute la République américaine va participer. Acte électoral : la présence, en majorité, dans le flot qui roule des gares aux hôtels, de files d’hommes que rarement accompagnent des femmes, plus rarement encore des enfans, indique, disgracieusement, qu’il s’agit d’un vote. Mais en même temps acte national : chapeaux melons, chapeaux de paille, feutres mous et chapeaux de soie disent assez qu’ici toutes les classes se mêlent, tandis que, par les teintes variées des visages, des allures et, des manières, se révèle aisément que toute l’Amérique est ici représentée. L’élégante orchidée du financier de Wall Street effleure, dans la cohue, à quelque boutonnière négligée, le rustique tournesol d’un citoyen du Kansas. De gigantesques noirs à l’allure solennelle s’arrêtent majestueusement pour donner lentement, à quelque puissant de la politique, la vigoureuse poignée de main qu’il tente vainement d’abréger d’un air contraint. Défiant la pluie, qui bientôt se met à battre, impitoyable, cinq mille femmes, ceintes d’écharpes d’un jaune flamboyant, en robes claires héroïquement trempées, défilent, impassibles, pendant deux heures, pour affirmer leur foi dans le développement, sans distinction de sexe, du suffrage.

Aux États-Unis, État fédéral, où la Chambre des Représentans est formée de députés élus par chacun des Etats, non par le peuple de l’Union, et le Sénat par les législatures particulières