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ni ailleurs, on n’avait encore admis le principe d’une taxe spéciale sur un ordre de bénéfices déterminé. Les Allemands avaient ouvert la voie en imposant l’accroissement de la fortune constaté dans une période fixée ; les bénéfices exceptionnels récoltés pendant la guerre et grâce à la guerre viennent tout naturellement grossir le patrimoine de ceux qui les ont réalisés, jusqu’à concurrence tout au moins de la partie qui n’en a pas été dépensée. Dès lors, il n’était pas nécessaire d’envisager les sommes produites par ces bénéfices, indépendamment des autres causes d’accroissement du patrimoine ; il suffisait d’appliquer à l’ensemble de la plus-value le taux de guerre : c’est ce qu’a fait la loi de juin 1916.

Le caractère de ces diverses lois est d’être exceptionnelles. Il est possible toutefois que le principe de la taxation de la plus-value de la fortune, qui avait déjà fait son apparition en Angleterre dans le célèbre budget présenté par Lloyd George en 1907, soit appliqué dans des pays où il était inconnu jusqu’ici. Nous souhaitons que, s’il doit en être ainsi, l’expérience soit faite avec modération : le très grand danger des impôts de ce genre est de décourager l’esprit d’épargne. Ceux qui travaillent à constituer ou accroître un patrimoine cesseraient de lutter en vue d’atteindre ce but, le jour où ils verraient l’Etat réclamer une part grandissante du capital créé par leurs efforts. C’est la considération supérieure qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsqu’on légifère dans ce domaine, où les erreurs d’une fiscalité aveugle pourraient avoir les conséquences les plus graves au point de vue de l’avenir de la fortune nationale et de la nation elle-même. Gardons-nous surtout d’une tendance à laquelle nous n’avons cédé que trop aisément et trop souvent : celle de copier servilement des législations étrangères, sans nous préoccuper des différences fondamentales qui séparent certains peuples du nôtre, — la mentalité allemande de la mentalité française.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.