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se révèle mieux encore que partout ailleurs, avec une franchise émouvante, cette belle âme de poète et de chevalier, cette âme admirable, toute faite de jeunesse, d’amour, d’honneur, d’héroïsme et d’harmonie.

Sa nature artistique offrait déjà de séduisans et originaux contrastes ; il possédait certainement et sûrement un grand et vrai don de poète. À travers les hésitations des premiers chants, les essais qui l’apparentent momentanément, comme tout jeune poète, à certains écrivains de prédilection, on voit sa vérité particulière se dégager et se former avec une grâce puissante. Il est, avant tout, harmonieux. La musique secrète et profonde nourrit ses moindres essais et circule à travers toute son œuvre, hélas ! inachevée, comme une eau intarissable et pure. Ses vers sont d’un son riche et clair, sa prose est naturellement poétique et mélodique, sa phrase pourrait toujours se chanter. Il unit enfin deux qualités qui ne sont, je le crois, presque ‘jamais jumelles et semblent, au contraire, s’exclure mutuellement : la richesse, l’éclat de la couleur, au sentiment et à la suggestion du mystère.

Une mélancolie tendrement charmeresse sourit et pleure dans ses poèmes ; une nostalgie sans fin les élargit secrètement ; le sentiment de l’amour y est toujours contenu avec une noblesse singulière ; et, même lorsqu’il essaie d’exprimer le plaisir, il reste hautain. Tour à tour, avec les sorcelleries de sa vision de poète, il décrit les pays où il a passé, et la rayonnante terre paternelle et les doux paysages français. Cette terre paternelle, où il n’est pas né et où il ne doit pas mourir, ne lui apparaît déjà plus que comme un beau voyage, le plus beau de tous, et je veux citer ici tout entier ce poème en prose d’une beauté si pénétrante, et où, malgré lui peut-être, l’auteur, cherchant le pays le plus lointain, le plus inaccessible et le plus rêvé, a incarné le sien dans la dame énigmatique qui donne à la fin du poème, avec son balancement et sa grâce, son rythme final, voluptueux et pourtant triste comme un renoncement et un adieu.


LE BEAU VOYAGE


À Pierre Sainte.

« Il est quelque part, en un pays que tu ne connais pas, une femme très calme et très belle qui rêve de toi, car elle t’aimerait.

« Bruges n’est plus, Venise est morte, les villes du Nord