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L’Italie surtout l’éblouit, l’enivre. Et plus tard, en même temps qu’il donnait, lui, sa vie à la France, un de ses jeunes parens. Italien par sa mère, mourait pour cette autre terre latine.


J’ai regardé un jour avec émotion diverses photographies d’Hernando de Bengoechea que son frère si pieusement et profondément fidèle à sa mémoire, m’apporta. Le voici, enfant, charmant, avec de grands yeux dans un si doux et beau visage ombragé de boucles… Hélas ! combien de vivans aujourd’hui se penchent ainsi sur les images, devenues saintes, de leurs chers enfans qui ne sont plus !

Le voici jeune homme ; les cheveux presque blonds ont foncé jusqu’au noir. Mais les yeux si grands, si rayonnans, sont restés aussi fiers et aussi purs. Voici une photographie en couleur et dans le costume persan qu’il portait à ce fameux bal qu’il décrivit ensuite. — Rien de frivole pourtant dans cette luxueuse apparence costumée et parée. L’attitude est si noble, le turban auréole un visage si précis et si viril, le regard est tellement énergique sous l’ombre de l’aigrette et de la soie, que c’est déjà un guerrier, quelque émir entre deux batailles, qui nous apparaît ainsi dans la transparence ténébreuse du verre magiquement coloré. Et voici une petite photographie, la dernière, un « kodak » d’amateur ami : celle-ci n’est-elle pas la plus touchante entre toutes ? Rajeuni par l’uniforme de fantassin, svelte et mince malgré la capote lourde aux coins relevés, le visage rétréci par le képi enfoncé sur la tête aux cheveux rasés, les yeux gais, la bouche découvrant les dents si blanches, il rit, cet enfant qui va partir, d’un rire heureux, insouciant, puéril… Et cette image-là nous arrache des larmes.


J’ai eu aussi, entre les mains, ses manuscrits : poèmes achevés, vers épars, poèmes en prose, notes et pensées mélangées, un petit acte, le Vol du soir, mystérieux et mélancolique comme le cœur même de la femme qui en est l’héroïne, doux battement qui s’élève et palpite, puis meurt découragé ; un très beau et singulier ballet d’après Edgar Poë, le Spectre de la Mort Rouge, d’une frémissante et large horreur, et ses Lettres de soldat où