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réaliser, pour le don total, toutes ses si belles promesses, il a versé tout son sang et en a signé la plus magnanime page de son livre.

À vingt et un ans, étant né à Paris, il lui fallut opter pour sa nationalité. Son esprit était trop chevaleresque et familial pour qu’il ne voulût pas conserver celle de toute sa race. Mais dès lors le jeune Colombien annonça sa résolution de s’engager au service de la France, au cas d’une guerre franco-allemande.

Elevé en grande partie par son frère ainé, le noble et beau poète de l’Orgueilleuse Lyre, fils d’un père trop tôt perdu, dont l’intelligence et le savoir étaient immenses et unis aux grandes qualités d’un cœur généreux, Hernando vécut toujours dans une atmosphère favorable à son épanouissement spirituel. Il avait fait ses études à Paris et à Bogota et, précocement doué pour l’art sous toutes ses formes, il s’essaya de bonne heure à la poésie, donna à la Grande Revue, à Pan, à la Vie, au Mercure de France, des proses et des vers remarquables par leur grâce sensible et singulière et leurs rythmes colorés ; en même temps, à la Revista de America, importante revue Sud-américaine, il écrivait en espagnol la chronique musicale. Car il comprenait et aimait la musique avec une passion éclairée et consciente ; le sens du rythme était en lui ; nous le retrouvons dans le balancement de sa phrase et la structure de ses vers, dans un dessin inachevé, négligemment jeté sur une page, dans ses émotions en face de la danse. La danse d’Isadora Duncan lui inspira quelques-unes de ses plus nobles et parfaites pages. Toutes les manifestations de la beauté l’atteignent et l’enflamment. Il connaît aussi tous les jeunes et charmans enivremens de l’enthousiasme pour tout ce qui est beau ; livres ou femmes, pour une ville, un jardin, un tableau, une fête. La Mille et deuxième Nuit où il décrit, avec une exacte poésie, un célèbre bal persan, est un exemple entre dix ou cent du don magique qu’il possédait de voir les choses telles qu’elles étaient, en même temps qu’il en savait dégager le sens mystérieux et presque allégorique, l’autre apparence, secrète et perceptible seulement à certaines ferveurs croyantes et subtiles.

Il voyage : Suisse, Belgique, Catalogne, Angleterre, Riviéra, Italie… De toutes ces contrées parcourues avec un curieux et intense amour, nous trouvons, dans son œuvre inachevée, des souvenirs précis et aussi des échos, des reflets, des rêves.